OCTOBRE – Chapitre 10 : Le Médaillon6 min de lecture
Elle parcourait les lieux, l’air apaisé. Chaque endroit lui rappelait de bons ou de mauvais souvenirs. Un sourire s’esquissa sur son visage. Que de futilités ! La mort lui avait rappelé où se situait l’essentiel.
Le calme régnait en cette douce nuit d’été. Mais l’automne n’était pas loin, elle le ressentait. Dans la légère brise qui se levait, les feuilles des arbres qui semblaient vouloir s’envoler pour de bon, et les ténèbres qui gagnaient du terrain. Pourquoi avait-elle laissé ces broutilles terrestres lui encombrer l’esprit ? Elle soupira. Sa recherche de la perfection continuait de la poursuivre, même dans l’au-delà.
Des bribes de sa vie lui revinrent en mémoire. Il semblait que la réalité de son existence lui échappait déjà, comme si ses souvenirs se devaient de mourir avec elle. Elle s’accrocha du mieux qu’elle put à ce qui lui restait en tête, tout en sachant que bientôt, seule son inexistence se rappellerait à elle. La conscience de sa fin était une sensation bien étrange. Une fin, une vraie, où elle ne pouvait même pas exister au travers de son passé.
Elle observa les rangées d’ordinateurs, les bureaux rangés, ceux désordonnés, certains personnalisés, d’autres impersonnels. De la nourriture traînait sur les étagères, vestiges d’une festivité quelconque. Elle tenta de se rappeler son quotidien, les échanges avec les uns et les autres, mais rien ne lui vint en mémoire. Il fallait croire que les relations avec ses collègues n’avaient pas été bien importantes. Quelques visages lui passaient devant les yeux, mais elle sentait qu’ils n’appartenaient pas à ce lieu. C’était les visages d’être chers ; l’affection qu’elle leur avait portée semblait forte.
Elle continua son chemin jusqu’au fond du couloir. Elle voulut tourner la poignée de la dernière pièce puis se rappela qu’il ne lui était pas possible de toucher quoique ce soit depuis son accident, les objets passaient à travers elle. Elle pouvait effleurer, ressentir le froid du métal, mais aucune action ne se déclencherait. Pourquoi était-elle venue jusqu’ici ? Ah oui, elle avait oublié son médaillon dans le tiroir de son bureau. Elle traversa la porte et frissonna. La sensation n’était pas des plus agréables. Elle était largement compensée par le sentiment de pouvoir que cela procurait. Mais comment allait-elle tirer la poignée pour récupérer son collier ?
Le médaillon l’avait attirée comme un aimant. Il semblait être le symbole de sa vie. Un flash lui apparut devant les yeux et elle se souvint qu’il contenait une photo des deux êtres qui comptaient le plus pour elle. Où étaient-ils à cet instant ? Que faisaient-ils ? La pleuraient-ils ? Elle espérait que ces pleurs ne dureraient pas. Même si elle souhaitait être manquée, elle ne voulait pas que le chagrin prenne le dessus dans la vie de ceux qu’elle avait aimé. Qu’elle aimait toujours, même si leurs visages se faisaient plus vagues.
Elle fixa longuement le tiroir jusqu’à ce qu’il s’ouvrit. Un miracle ? Ou simplement un autre pouvoir ? Elle tendit la main vers son médaillon. Elle poussa un cri de surprise quand elle ressentit son poids dans sa main. Elle l’accrocha délicatement autour de son cou. Il perdit alors toute masse, comme s’il avait fusionné avec son corps. Elle sentit alors qu’elle s’illuminait. La douce brise vint l’attraper et la fit passer par la fenêtre. Elle s’éleva tranquillement dans les airs, apaisée. Elle ferma les yeux pour la dernière fois. Son dernier sentiment fut composé d’accomplissement et de sérénité. Elle pouvait enfin reposer en paix.
Les bureaux étaient à nouveau vides. Vidés de son essence, vidés du pendentif à l’aura incroyable. On entendait le bruit continu de l’aération qui fonctionnait nuit et jour, sans relâche. Le noir complet était inconnu à ce lieu : les lumières des sorties d’urgence, les loupiotes des ordinateurs mal éteints, les lampadaires de la rue… Une pollution lumineuse et sonore imprégnait le lieu. Si la vie le quittait à partir d’une certaine heure, l’animation était permanente. On entendait les bruits des immeubles alentours, la rue animée, les enfants qui couraient non loin de là. Le calme régnait sans le bruit des doigts qui tapent les touches d’ordinateur ou les pas des allers et venues d’un bureau à l’autre. Les ténèbres prenaient le dessus sans la lumière du soleil ou les néons du plafond. Mais le calme et les ténèbres n’étaient jamais réellement complets. Il restait un fantôme des mouvements de la journée. Comme lorsqu’on s’assoit sur une chaise juste après quelqu’un : la chaleur y est toujours, comme pour nous rappeler la présence de cet autre juste avant nous. Ainsi, la présence des occupants des bureaux continuait de les hantait, comme si on venait tout juste de les quitter. On pouvait sentir leur empreinte, malgré leur absence.
Elle était partie, mais la vie continuait. La mort est partie intégrante du quotidien, et pourtant rien ne semble plus douloureux. Pour ceux qui restent, comment imaginer pire situation ? Pourquoi un phénomène si “banal” peut-il être si mal accepté ? Pourquoi l’homme après tant d’années ne peut-il trouver un moyen efficace d’affronter sereinement sa mortalité ? Où était-elle partie ? Dans le néant, un paradis, un enfer, une autre vie… ?
Une moto passa en trombe dans la rue. Les bureaux vides ne mouffetèrent pas. Une très légère lumière continuait d’imbiber le bureau où elle se trouvait avant de disparaître. Son aura resterait dans ce lieu encore quelques jours. L’émotion avait été tellement forte qu’elle avait laissé une trace importante. Personne ne comprendrait pourquoi un sentiment étrange les étreindrait du moment qu’ils mettraient les pieds à cet endroit précis.
La vie est imprévisible, pour le meilleur et pour le pire. Elle n’avait pas prévu d’avoir si peu de temps devant elle. “Nous savons tous que chaque moment est précieux. Pourquoi continuons-nous de nous fourvoyer sur l’essentiel ?”, pensait-elle régulièrement. Elle-même s’en voulait de ne pas savoir agir à la lumière de cette clairvoyance. Alors les jours se suivaient, les uns après les autres, et elle tentait de profiter au mieux, de ne pas oublier ce qui comptait vraiment pour elle. Pourtant, ce dernier jour, elle avait laissé le médaillon dans cet endroit insignifiant. Son quotidien, certes, mais pas celui qu’elle chérissait. Heureusement, elle avait pu remédier à cet oubli – volontaire ou non – et s’en aller le cœur plus léger.