Magritte
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Perspectives9 min de lecture

Une nouvelle policière

Jour 6

Face au tableau, je pris conscience que quelque chose m’avait échappé. Depuis le début, la solution me filait entre les doigts. Pourtant, ce jour-là, un détail crucial me frappat. Comme toujours, ce qui importait était ce que l’on ne voyait pas. Tout est une question de perspectives.

En tant que détective privé, jamais chose pareille ne m’était arrivée. Et j’en ai traité des affaires ! A mon âge, on a tout vu, ou presque.

Je venais à Pompidou régulièrement. Ma femme me suivait rarement, n’appréciant guère l’art contemporain. Et puis c’était ma balade pensive, qui me permettait de remettre à plat l’affaire en cours. Mais jamais auparavant ce ne fut un tableau qui m’apportât LA solution.

Jour -1

J’allais profiter d’une période de quiétude pour prendre des jours de vacances seul hors de Paris. Le calme ne dura pas !

Deux semaines durant, les affaires s’étaient faites rares, l’occasion de m’accorder un peu de congés. Mais les endroits à l’apparence calme sont les plus susceptibles de dévoiler de mauvaises surprises. J’aurais dû y penser avant de partir pour Giverny.

C’est en ce premier jour de vacances que tout commença…

Jour 1

Après une journée de balade, je rentrais à l’hôtel, de nouveau presque serein.

Le matin dans une quiétude incomparable, l’endroit était désormais l’objet d’un brouhaha digne du métro. Les gens parlaient dans tous les sens, les uns paniqués ou en pleurs, les autres en état de choc.

Moi qui revenais d’un pur moment de bonheur, à marcher près de la Seine, le soleil perçant les nuages, les reflets de la nature dans l’eau… Je me retrouvais sortie de mes rêveries par des expressions horrifiées, des sanglots, des discussions agitées. “Ce n’est pas possible…”, “Mais comment cela est-il arrivé ?!”, “Vous avez entendu le médecin ?”

Les phrases se fondaient les unes dans les autres, dans une clameur de panique et d’incrédulité.

“Tu es en vacances”, pensai-je, en me dirigeant droit vers les escaliers.

Manque de chance, un type un peu louche me prit par le bras et murmura :

Vous avez entendu ?

Non. Je souhaite juste me rendre dans ma chambre.

Un effroyable crime a eu lieu. Du jamais vu dans notre petite ville.

Ne pouvant jouer l’indifférence, je répondis :

– J’en suis désolé.

Je me retins d’ajouter : a-t-on trouvé le coupable ? Mais l’homme avait envie de parler. L’événement semblait le ravir, comme si c’était un bon spectacle dans une ville un peu trop calme :

– Un homme a été tué d’un coup sur la tête. Sans souffrir, selon le médecin. Pour dire la vérité, nous nous demandons bien qui a pu faire ça…

Pour me débarrasser de lui, je lui dis :

– La police s’en occupe.

Il me lâcha enfin le bras :

– Quel malheur…

Et, comme s’il avait dit tout ce qu’il avait à dire et que l’horreur de la situation faisait place à son excitation première, il s’en alla en murmurant des choses incompréhensibles.

J’allais me réfugier dans ma chambre.

Sur le lit, je lâchai un soupir de soulagement un peu trop forcé, refusant de reconnaître mon sentiment de culpabilité.

Je n’étais pas là en qualité de détective mais de touriste, tentai-je de me rassurer.

Cette nuit-là, mon sommeil fut très agité et tout sauf reposant…

Jour 2

Le lendemain matin, je sortis de ma chambre, la figure enfarinée malgré une tentative de réveil forcée à la douche froide. Rien n’y fit… ou presque.

Au petit déjeuner, j’eus à peine le temps de m’asseoir, que les propriétaires de l’hôtel — un couple adorable dans leur cinquantaine — vint me parler.

– Bonjour M. Baley, votre séjour se passe bien ? me dit la femme.

– Tout à… commençai-je.

– Nous espérons que vous êtes installé confortablement, renchérit le mari.

– Oui, rien à…

– Nous sommes vraiment désolés, me coupa la femme.

– Mais nous ne savons pas vers qui d’autre nous tourner, et voilà que vous vous trouvez chez nous ! continua le mari.

– Mais de quoi parlez-vous ? dis-je.

– Oh ! Mais où sont nos manières ? Lise, va chercher le petit déjeuner de monsieur, ordonna la femme.

Je poussais un soupir de résignation :

– Vous souhaitez me parler de l’incident d’hier ?

Les propriétaires acquiescèrent.

Ils me racontèrent, alors que je comblais mon manque de sommeil par la nourriture, les événements de la veille.

La victime était un de leurs amis, collectionneur d’art, connu et apprécié. Ils ne comprenaient pas que quelqu’un lui en veuille au point de le tuer.

D’après eux, l’homme avait été retrouvé vers 11h par la femme de ménage. Il était étendu par terre, sur le dos, le visage en sang. L’assassin lui aurait asséné un seul coup violent sur le côté gauche du crâne.

L’enquiquineur de la veille ne m’avait donc pas menti.

– Nous connaissons votre réputation, et nous nous demandions si vous accepteriez de jeter un oeil…

Le mari avait l’air très affecté. Apparemment, c’était un ami d’enfance à lui. Il m’était difficile de refuser…

– Entendu, je vais y réfléchir. Mais je ne vous promets rien.

Mes interlocuteurs semblaient ravis. Ils me remercièrent plusieurs fois avant de prendre congé.

Jour 3

Je passais ma deuxième journée de congé à interroger des proches de la victime, des habitants du coin et des touristes. La troisième aussi. Et toujours la même réponse : un homme gentil, aimable, curieux et passionné. Rien qui ne puisse inciter à la haine. Un vieil ami du propriétaire de l’hôtel, un homme charmant.

Les habitants du coin le connaissaient bien et l’appréciaient. Ils étaients sincères, il n’y avait pas de doute là-dessus.

Les proches de la victime étaient peu nombreux, mais très abattus par la nouvelle.

Quant aux touristes, ils étaient pour la plupart arrivés après le meurtre en question.

Quelques personnes me parurent étranges, mais pas assez pour constituer une piste.

Pour la première fois de ma carrière, mes tripes restaient muettes. L’affaire me paraissait louche, et mon instinct ne me guidait pas.

De retour à l’hôtel, j’évitais soigneusement mes charmants hôtes…

Jour 4

Impossible de voir à travers le brouillard dans ma tête.

J’avais fait le tour du village, interrogé tout le monde, revu les indices des dizaines de fois. Rien qui puisse me donner le soupçon d’un début d’idée.

Il fallait que je m’y fasse. Ca allait probablement être ma première affaire non résolue. Heureusement que c’était du bénévolat… Ca ne m’en rendait pas moins malade de ne pas réussir à trouver ne serait-ce qu’une piste.

Il fallait que je rentre à Paris le lendemain. Difficile de trouver un coupable en si peu de temps…

J’avais parlé à la police locale.

Le nom de la victime ne me disait rien. Pourtant, c’était un grand collectionneur de tableaux. Un type à l’oeil aiguisé, avec une belle réputation.

D’après la police, la scène se serait déroulée ainsi : l’homme dormait tranquillement dans son lit lorsque quelqu’un — probablement un homme à forte carrure vue la violence du coup porté — se serait introduit dans sa chambre et lui aurait asséné le coup fatal avec un objet lourd.

Le meurtre paraissait calculé — un seul coup puissant sur la tête, non violent — pas d’acharnement, non vénal — rien n’avait été volé.

J’étais dans le noir complet…

Jour 5

Il était temps pour moi de repartir. J’avais eu, pour ainsi dire, une journée de répit.

Et si je passais toute ma vie sans trouver la vérité autour de cette affaire ? Ou pire, si quelqu’un la découvrait à ma place ? Mon ego de détective était blessé.

Comment trouver un meurtrier parmi ces gens, quasiment tous amis sincères de la victime ? Pas d’indice réel dans la chambre, pas de double vie… J’avais pourtant appelé tous ceux que je connaissais qui me devaient des services.

Je pris mon sac, sortis de la chambre et descendis les escaliers.

Je m’arrêtai devant la réception, soulagé de ne pas y trouver mes hôtes.

Je posai la clé sur le comptoir, avec un billet pour régler la note.

Honteux, je me dirigeai vers la gare, sans prévenir personne.

Jour 6

Je n’avais pas le coeur à retourner au travail.

Pourtant, les affaires reprenaient !

Ce meurtre non résolu me tracassait plus que je ne l’aurais souhaité.

Je décidai de me rendre dans un de mes musées préférés.

Je fis le tour de la section d’art contemporain.

Un tableau attira mon attention, que pourtant je n’avais jamais vraiment observé.

Magritte. “Le Double Secret”.

Je ne sais comment le mécanisme se déclencha dans mon cerveau.

Deux formes identiques, deux visions différentes.

Tout est une question de perspectives, pensai-je.

L’intérieur de la femme. Son extérieur sur fond de mer.

Comment interpréter les formes qui la constituaient ? Pourquoi cette déchirure ? Elle seule et personne d’autre.

– Mais bien sûr ! hurlai-je en plein milieu du musée.

Tous les yeux se tournèrent vers moi. Qu’importe, j’avais trouvé la vérité…

Le roman qui m’avait fait devenir détective se réalisait. “Le Mystère de la chambre jaune” en version simplifiée.

Je sortis du musée, soulagé.

Je devais appeler le couple de l’hôtel. Pourquoi avais-je écarté ce détail dès le début ? La porte, la fenêtre… tous fermés, sans le moindre signe d’effraction.

– Il n’y a jamais eu de meurtre, m’exclamai-je en marchant à grands pas vers mon appartement. Juste un bête accident.

Initialement publié sur Medium

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