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Quelques soupçons 2/46 min de lecture

Georges est un gentil. Je le voyais bien se débattre dans cette affaire. Son devoir l’appelait et cette femme l’envoûtait. Il ne pouvait pas rester les bras croisés, il ne pouvait pas détourner le regard. Quelle que soit l’issue de cette affaire, il ira jusqu’au bout. Et c’est ça qui me fait peur… Nous faisons face à des gens vraiment dangereux. Nous avons l’habitude de faire face à des criminels, mais des criminels pauvres, ou de classe moyenne. De ceux qui ne peuvent se permettre d’avocats ou au mieux de bons avocats. Là, nous avons affaire à des gens qui n’ont pas simplement de l’argent pour leur donner du pouvoir mais qui détiennent les deux de façon conséquente. Leurs avocats leur sont dédiés, ils ne travaillent que pour eux. Ils ne savent pas ce que veut dire perdre. Ils vivent au-dessus des lois, comme s’ils habitaient tout au bout du système solaire pendant que nous pourrissions au centre de la Terre. 

Bon sang, il risque d’y laisser sa peau, et peut-être la nôtre avec. Je vois bien qu’il essaye de nous garder un maximum à distance de tout cela, mais ça ne suffira pas. Il est déchiré par cette histoire et je n’ai qu’une hâte : qu’on en finisse. L’attente est horrible… Chaque jour, quand je pousse la porte du bureau, j’ai peur d’y retrouver un cadavre. Je viens au travail la boule au ventre, la gorge serrée. 

Ce jour-là, il est revenu encore plus penseur que d’habitude. Je sentais qu’il avait fait une découverte intéressante. Bien sûr, je ne le questionnais pas. Déjà, parce qu’il ne m’aurait pas répondu, ensuite, parce que j’avais peur de savoir. Pour la première fois depuis que je travaillais pour lui, j’avais peur de savoir… Un peu bête, pour une secrétaire de détective. Il la suivait, “pour la protéger”. Elle avait mis en place une nouvelle routine, à laquelle elle ne dérogeait pas. Comme ça, ils sauraient où la trouver : elle ne se cachait pas, elle ne montrait pas de signe de changement. Mais s’il fallait s’enfuir, s’ils se doutaient de ce qu’elle tramait, elle pourrait disparaître d’autant plus facilement. C’était compliqué : il ne devait pas la lâcher des yeux et enquêter en même temps sur le meurtre. Il y arrivait difficilement, car il ne voulait impliquer personne d’autre, de peur de mettre d’autres gens en danger. Il profitait souvent de son temps au tribunal, où elle était relativement en sécurité, pour faire ses recherches. 

“Impossible… Comment diable je vais trouver une once de preuve…”. Je l’entendais marmonner, je le sentais bloqué, frustré. La veille, il avait balancé la corbeille à papier à travers la pièce. Pas très impressionnant en termes de dégâts, mais, pour lui qui ne perdait jamais son calme… Malia était une sanguine, elle vivait chaque affaire avec les tripes. Georges était posé et réfléchi, il la jouait plutôt Poirot. Pour cela, ils formaient une super équipe, et je suis sûre que l’affaire aurait avancé bien plus vite si tous les deux avaient été sur le coup. “Hors de question”, avait dit Georges lorsqu’elle lui avait proposé son aide. 

Je connaissais Malia, et je savais qu’elle n’écouterait pas. Elle ne m’avait rien demandé, car elle ne voulait pas me mettre en danger. Cependant, je lui avais proposé mon aide malgré la peur. Elle avait refusé au début, mais elle m’avait demandé de faire deux ou trois vérifications. Elle me tenait le plus loin possible de l’affaire, mais je restais leur secrétaire et je voulais me rendre un peu utile. 

J’écoutais d’une oreille ses conversations téléphoniques et je fus heureuse de me rendre compte qu’une de mes pistes avait payé. Elle avait réussi à avoir un nom, celui de la femme assassinée, et, par effet boule de neige, elle sut quels avaient été ses magasins habituels et les copines avec lesquelles elle passait le plus de temps. Elle réussit même à trouver sa pharmacie habituelle. Je n’en savais pas plus sur l’affaire : ils me protégeaient et je me protégeais. Mis à part les quelques coups de fil demandés par Malia, je n’avais pas fait grand-chose. Je me sentais un peu peureuse mais, contrairement à eux, j’ai une famille et je ne peux pas me permettre de les mettre en ligne de mire. Je jouais donc à la secrétaire bête et méchante, en me gardant dans le flou et en admettant moins que ce que je savais réellement. 

“Nour ! C’est quoi ce bordel ?”. Le lendemain des découvertes de Malia, Georges a déboulé dans le bureau sans un “bonjour” ou “ça va ?”. Je me levais en sursaut de mon siège, comme une enfant prise en flagrant délit. “Bonjour Georges, ça va ce matin ? Que se passe-t-il ?” dis-je en reprenant mes esprits. “Pas de ça avec moi, je vous avais dit qu’il était hors de question de vous impliquer dans cette affaire, qu’avez-vous fait ?”. Je ne sais pas comment Georges a su, probablement qu’un de ses indics lui avait refilé l’info. “Georges, j’ai juste passé trois coups de fil, je ne sais même pas exactement pourquoi. Si tu veux en savoir plus, il faudra parler avec ta collaboratrice. Je ne suis que la secrétaire”. Je savais qu’il détestait quand je me rabaissais comme ça ; j’avais fait exprès d’employer ces mots et ce ton. Mais ça n’avait pas marché ce coup-ci. “Arrête de me prendre pour un idiot…” avait-il dit en passant la porte de son bureau qu’il claqua allégrement, avant de la rouvrir trois secondes après : “Quand Malia arrive, tu ne lui laisses pas le temps de pisser, elle vient me voir TOUT DE SUITE”. Je réfrénais un petit rire nerveux. La scène aurait pu être comique si elle n’avait pas été empreinte de toute la gravité de la situation…

Malia arriva une heure après, l’air grave. Elle marmonnait des paroles incompréhensibles d’un air inquiet. Au bout de deux minutes qui me semblèrent une éternité, elle leva les yeux vers moi, et me regarda d’un air presque surpris, comme si elle ne s’attendait pas à me voir ici : “Je crois que je suis suivis”, me dit-elle l’air absent, se parlant à elle-même plus qu’à moi. Alors que nous nous regardions, ne savant pas trop quoi faire de cette information, une femme déboula dans le bureau. Elle ferma la porte après avoir regardé derrière elle d’un air inquiet, elle aussi probablement persuadée que quelqu’un était sur ses traces. Elle était essoufflée, les cheveux en bataille, elle s’était clairement rhabillée à la va-vite. Elle nous regarda, et nous avons toutes compris ce qui se passait. A cet instant, Georges ouvrit la porte de son bureau et, avant de voir qu’elle était là, commença : “Je t’avais dit TOUT DE…”. Il stoppa net quand il la vit. Il ne lui demanda pas ce qu’elle voulait. Il comprit que, si elle était là, c’est que les choses avaient tourné au vinaigre. Il lut la peur dans ses yeux, qui signifiait : “Ils savent”.

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