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Les débuts de l’aventure : le cabinet (3/3)10 min de lecture

L’entrée de l’immeuble était tout à fait ordinaire. J’ai respiré un bon coup avant d’entrer. Je ne sais pas trop ce qui m’avait poussée à répondre à cette annonce. Un coup de tête, sûrement. Lassée par mon travail actuel de secrétaire dans une petite usine de production d’ampoules, j’avais voulu faire un virage à 360. Ma vie me paraissait un peu morne et je voulais lui redonner de l’intérêt. J’adore mes enfants, mais j’ai aussi besoin de m’accomplir en tant que personne. Nous étions lundi soir et les petits dormaient enfin. La journée avait ressemblé aux autres débuts de semaine : j’avais fini mon travail en trois heures et m’étais ennuyée le reste de la journée. Mes collègues n’avaient pas grand chose d’intéressant à dire et le business des ampoules n’est pas des plus passionnants. Alors, pour une raison inconnue, je m’étais amusée à lire les offres d’emploi postées sur les sites de petites annonces. Je faisais ça de temps en temps, car on trouvait des textes drôles – ou désolants. Et là, je suis tombée dessus : “Nous recherchons une secrétaire pour un nouveau cabinet de détectives privés. Profil souhaité : curieux, efficace et discret. Compétences : dactylographie, bonne orthographe, gestion d’agenda et de budget. Salaire à discuter”. Clairement, les gens qui avaient écrit l’annonce étaient déconnectés des réalités du recrutement. Avant que je ne réalise ce que je faisais, j’avais répondu un mail de motivation court en y joignant mon CV. Le lendemain matin, on m’appelait. Et voilà comment, deux jours plus tard, je me retrouvais devant cette entrée d’immeuble tout à fait banale qui annonçait une déception. Je faillis faire demi-tour mais la curiosité et la bienséance m’obligèrent à pousser la porte.

Une femme, la trentaine bien avancée, m’ouvrit la porte et me conduisit du hall d’entrée jusqu’à un endroit exigu : probablement la salle d’attente. Il n’y avait qu’une chaise et une petite table. Elle s’excusa puis une homme vint me chercher deux minutes plus tard. Il m’emmena dans une pièce où étaient installés deux bureaux de taille moyenne uniquement ornés d’un ordinateur.

  • Vous nous excuserez, nous ne sommes pas encore bien installés. D’ailleurs, la secrétaire qui prendra le poste sera en charge d’emménager tout cela, expliqua l’homme qui m’avait accompagnée.

La quarantaine, il avait une voix qui lui donnait un charme incontestable. Ses cheveux noirs semblaient avoir leur propre volonté. Son visage portait les marques d’une vie difficile et ses yeux perçants étaient d’une beauté certaine. Sa taille et sa prestance lui conféraient un charisme important. Sa partenaire en imposait tout autant, avec ses cheveux ébène et ses yeux bleu gris. 

  • C’est noté, dis-je sans avoir rien de mieux à répondre.
  • Alors, pourquoi avez-vous postulé ? 

Je commençais par une réponse banale puis je me rappelai que ce n’était pas un entretien banal. 

  • Vous savez quoi ? La vérité, c’est que mon travail m’ennuie. J’ai deux enfants à la maison que j’adore, mais j’ai envie de m’épanouir ailleurs. Votre annonce a capté mon attention et je me suis dit : pourquoi pas ? 

J’expliquai que j’avais un certain nombre de compétences et que j’étais débrouillarde. Que je me doutais qu’un vrai cabinet de détective ne ressemblait pas vraiment à ceux décrits dans les livres mais que j’étais fan de polars. Je parlais comme ça pendant deux bonnes minutes – ce qui est long dans ce genre de situation – en m’observant sans comprendre ce que j’étais en train de faire.

  • Voilà enfin quelqu’un qui a compris.

Je regardais la femme avec interrogation.

  • Ce n’est pas un entretien d’embauche, mais un échange entre êtres humains. Nous voulons savoir honnêtement ce que la personne qui veut nous rejoindre attend de nous, et ce qu’elle peut nous offrir. Nous avons vu trois personnes qui se croyaient dans le bureau d’un DRH.

Je ne pus réfréner un petit rire. Ils sourirent tous les deux.

  • Bon, clairement, vous êtes la personne qu’il nous faut, continua-t-elle. Maintenant, parlons salaire.

Nous nous entendîmes sur un salaire, et, sans comprendre ce qui m’arrivait, je repartis de là avec un nouveau travail et les clés. Je n’avais même pas démissionner de mon ancien travail que je devais démarrer la semaine suivante dans le cabinet. Comment j’allais faire ? Et comment annoncer la nouvelle à ma famille qui ne se doutait de rien ? Je leur avais simplement dit que je passais un entretien, pour voir, n’y croyant même pas moi-même.

Sur le chemin pour rentrer, je me posais toutes ces questions. Je me surprenais moi-même à ne même pas me demander si je devais accepter cette offre ou non. Bizarrement, tout cela me semblait presque naturel. J’avais besoin de me sentir valorisée et mon travail actuel ne répondait pas du tout à mes attentes, ni professionnellement, ni humainement. Alors, cette étrange opportunité m’apparaissait comme un signe du destin. Je suis très terre à terre et ce genre de raisonnement ne me ressemble pas, mais j’essayais de me convaincre que je faisais le bon choix. Je pense qu’un changement dans ma vie était nécessaire et que j’avais envie de tester quelque chose de complètement différent. Ce travail me permettrait d’avoir la responsabilité de toute la partie administrative et logistique du cabinet, qui n’avait pas l’air d’être le fort de deux détectives. Je ne m’attendais pas à des affaires passionnantes comme on en lit dans les romans, mais ce serait toujours plus palpitant que ma petite usine… Avec deux enfants, je n’aurais même pas dû considérer cette possibilité, mais je ne pouvais pas m’empêcher de me projeter.

Lorsque je poussais la porte de l’appartement, je me figurais déjà mes deux enfants à table avec leur père, en train de débattre de leurs goûts musicaux. Tous fans de rock, ils avaient chacun leur idole. J’imaginais ma fille, du haut de ses douze ans, en train de prêcher pour son groupe “girls-only”. Mon fils, quinze ans, en train de soupirer et ne jurer que par les classiques des années 70. Enfin, mon mari, fan de rock français uniquement, en train de virer au discours nationaliste dans le seul but de remporter un débat stérile car aucun argument rationnel ne les fera jamais changer leurs goûts… J’adorais les écouter parler, un demi-sourire aux lèvres, sans intervenir… jusqu’au dessert où je lançais le nom d’un groupe mainstream pour les rallier tous contre moi. Tout cela finissait avec de bons rires et des regards entendus. 

  • Ah, te voilà ! Alors, cet entretien ? 

Mon mari m’accueilla avec cette question, plein d’entrain et de curiosité. 

  • Tu ne nous as même pas dit le nom de l’entreprise, ajouta ma fille.
  • Laissez-moi arriver ! fis-je, la mine faussement boudeuse.

Après avoir déposé ma veste sur le porte-manteau de l’entrée, je passai devant le salon où il se trouvait pour me diriger au fond du couloir, à droite, dans la salle de bain, pour me laver les mains et me rafraîchir un peu. J’essayais de gagner du temps : j’avais beau me remuer les méninges, je n’avais pas trouvé la bonne façon de parler de tout cela malgré la demi-heure de trajet. J’allais ensuite dans ma chambre, qui se trouvait à côté, pour me poser sur le lit et tenter vainement de réfléchir.

  • Tu ne viens pas ? demanda mon mari, la voix à la fois surprise et inquiète.

Je soupirai. Je levai la tête et vis la mine de mon mari s’assombrir.

  • Qu’est-ce qu’il se passe ? Tu es bien silencieuse. Ca s’est si mal passé que ça ? 
  • Non, non, répondis-je après quelques lourdes secondes de silence. Ce n’est pas ça.

Je me levai et me dirigeai vers la cuisine, pour me servir une assiette de lasagnes qu’il avait préparées. C’était sa spécialité et elles étaient délicieuses : il s’était dit que ce serait soit une récompense si l’entretien se passait bien, soit un réconfort s’il se passait mal. Je m’asseyai à la table du salon. En face de moi, ma fille et mon fils discutaient, affalés sur le canapé. Mon mari me regardait, debout dans l’entrebâillement de la porte, le regard plein d’interrogations. Il n’osait plus me poser de questions et je n’osais pas parler.

  • Alors, maman, me demanda de nouveau ma fille alors que j’enfournais ma troisième bouchée. Tu nous racontes ?
  • On attend tous, ajouta mon fils.

J’avalai mes pâtes et pris mon courage à deux mains.

  • J’ai le job, dis-je d’un ton qui se voulait le plus neutre possible.
  • C’est génial, félicitations ! lancèrent mes enfants.
  • Pourquoi cette mine et ce silence, alors ? ajouta Tom, bien moins enthousiaste.
  • Parce que c’est un peu compliqué. 
  • Tu vas bosser pour une compagnie de tabac ? lança ma fille en rigolant.
  • Un cabinet de détectives, lâchai-je sans vraiment le réaliser.

Ils se lancèrent tous les trois des regards étonnés.

  • Comment ça ? demanda mon conjoint.

Alors, je me lançais dans le récit de la recherche, de l’entretien et de la proposition de travail. Mes enfants trouvèrent ça génial. Tom, lui, resta plus silencieux. Je tournai mon regard vers lui.

  • Ce n’est pas dangereux ? questionna-t-il avec une pointe d’inquiétude difficilement dissimulée.
  • Je ne pense pas, ils démarrent à peine. Ce n’est pas comme dans les livres, ça sera sûrement plus ennuyeux qu’il n’y paraît. Mais j’ai besoin de changement, et de changement radical.
  • Tu sais bien qu’on te soutiendra. Je veux juste être sûr que ça ne soit pas fait sur un coup de tête.
  • Eh bien justement, j’ai envie de me laisser aller à une impulsion, pour une fois ! lâchai-je avec un ton plus agressif que je n’aurais voulu. 

Un silence s’installa.

  • Pardon, je m’emporte. Je sais que tu penses à bien, mais je veux vraiment essayer. Au pire, je trouverai toujours un travail de secrétaire dans une boîte ennuyeuse.

Il s’approcha de moi et me prit dans ses bras.

  • Je suis désolé. J’oublie parfois tous les sacrifices que tu as faits pour nous. Tente l’aventure !

Ce soir-là, j’allais au lit soulagée. Je ne savais pas dans quoi je me lançais réellement mais c’était justement une des raisons pour lesquelles je voulais accepter ce travail. J’avais besoin d’un peu d’imprévu et de nouveauté. J’allais être servie !

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