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Métro6 min de lecture

La rame du métro se ferma alors qu’elle entrait dans le wagon. Elle jeta un coup d’œil discret par la porte : son poursuiveur fit la moue puis lui tourna le dos. Elle l’imagina en train de jurer. Elle l’avait échappé belle. Qui était cet homme mystérieux qui la suivait depuis quelques jours ? Elle n’en savait rien. Jusqu’à cet instant, elle avait cru être paranoïaque. Maintenant, elle avait la preuve que cet être n’était pas une simple invention de son imagination. Mais pourquoi quelqu’un la poursuivait-elle ? Elle s’assit dans un coin, sur un strapontin.

Alors qu’elle paraissait d’un calme imperturbable, son cerveau bouillonnait. Elle tentait de respirer du mieux qu’elle pouvait, mais l’angoisse lui serrait le cœur et la gorge. Elle essayait tant bien que mal de ne pas laisser les pensées négatives l’envahir et prendre le dessus, mais rien n’y faisait. Elle voulait se rouler en boule, seule et dépouillée de toutes responsabilités ou contraintes. Mais l’angoisse grandissait : elle avait beau se raisonner, le sentiment ne faisait qu’amplifier. Elle respirait du mieux qu’elle pouvait, sans résultat probant. Elle voulait hurler, frapper, sortir le poids qui s’amplifiait. Elle avait besoin de légèreté, d’oxygène, de réassurance. Au bout d’un temps qui lui sembla interminable, sa respiration commença à se calmer, son cerveau ralentit, et elle retrouva un semblant de contrôle. 

Elle ne voulait accepter la vérité, accepter que le passé la rattrapait aujourd’hui. Elle avait fui du mieux qu’elle pouvait mais on n’échappe jamais à la réalité. Elle avait 16 ans quand elle avait quitté le foyer familial. Paris semblait la meilleure ville pour gagner en anonymat : se fondre dans la masse était tellement facile. Une solution évidente qui pourtant l’avait sauvée pendant 17 ans. Pourquoi, comment… Son cerveau reprenait de plus belle. Elle balaya les pensées d’un revers de la main en descendant sur le quai.

Qu’allait-elle faire maintenant ? La simple idée de devoir tout recommencer ailleurs l’épuisait. Elle avait tellement donné pour en arriver là… Son travail, ses amis, son compagnon, l’être qui grandissait à l’intérieur d’elle. Instinctivement, elle mit les mains sur son ventre, comme pour protéger son bébé. Etait-ce une coïncidence qu’ils refassent surface dans sa vie quelques semaines après la bonne nouvelle ? Elle n’aurait jamais rêvé pouvoir fonder sa propre famille, comme un réel nouveau départ. Devenir mère la comblait tout en l’angoissant : comment ne pas répéter le schéma familial ? Comment casser le cercle vicieux ? D’autant plus à l’instant où son passé refaisait surface. 

Elle poussa la porte de l’appartement, épuisée moralement par son trajet. Il l’accueilla l’air interrogateur. Elle avait l’air essoufflée et soucieuse : que s’est-il passé ? Elle se rendit compte qu’il était probablement temps de lui dire toute la vérité, et pas seulement une partie. Elle avait expliqué qu’elle avait fui la violence de sa famille, le plus tôt possible, mais elle n’avait pas raconté toute l’histoire.

Aujourd’hui, il était temps. Elle n’avait pas été frappée, non, la violence avait été plus insidieuse, psychique, ils l’avaient détruite petit à petit dès qu’elle avait été assez grande pour commencer à répondre. Heureusement, il lui était resté assez de courage et d’amour-propre – une simple once – pour partir, pour accepter le fait qu’elle méritait mieux. Ca n’avait pas été facile mais elle s’en était sortie. De petit boulot en petit boulot, elle avait réussi à se construire une vie. Elle avait pris des cours du soir pour obtenir son premier diplôme.

Elle ne devait pas tout cela à elle seule – personne ne peut prétendre avoir réussi seul. Elle avait eu la chance de rencontrer les bonnes personnes pour la soutenir et l’accompagner. Petit à petit, elle avait réussi à se reconstruire. Assez pour se sentir prête à monter une famille aujourd’hui. 

C’était fini. Le passé, dans le passé. Ressasser ne ferait qu’empirer les choses. Pourquoi diable ne pouvait-elle être différente ? Après un moment de haine envers cette nature traîtresse, elle retrouva sa contenance. La souffrance pour le bonheur. La maladie pour la santé. Il fallait bien connaître l’un pour apprécier l’autre. Les doutes refaisaient malgré tout souvent surface. Sa mésaventure des derniers jours avaient ravivé les plaies qu’elle croyait enfin fermées.

Elle ne voulut pas se replonger dans tout cela et avait besoin de clore ce chapitre de sa vie une bonne fois pour toute. Elle allait le confronter, cet étranger qui venait la tourmenter. Ce matin-là, elle mit dans son sac les aiguilles à tricoter en métal les plus pointues qu’elle possédait. Elle avait hésité à prendre un couteau de cuisine mais ne voulait risquer de se promener avec une réelle arme. Alors, elle avait opté pour un élément de dissuasion : elle ne ferait pas beaucoup de dommage avec ses aiguilles dont son compagnon se moquait régulièrement pour la taquiner. Mais elle pourrait a minima tenir à distance l’homme en question s’il se montrait violent. 

Elle décida que la confrontation aurait lieu dans le métro : il était plus simple de s’y cacher, de le pousser dans les escaliers si nécessaire, de monter dans une rame pour s’échapper. Elle se plaça en tête de quai, faisant mine d’attendre son métro. Elle pouvait soit monter dans le train suivant, gravir les escaliers vers la sortie sur sa droite ou tourner les talons pour s’engouffrer dans les couloirs.

Elle le vit arriver, se tenant à bonne distance, un écouteur dans l’oreille gauche, une démarche nonchalante, un regard faussement dans le vague. Elle s’avança doucement vers lui, d’abord le regard baissé puis le levant pour le planter dans le sien lorsqu’elle se trouva à deux mètres de lui. Il eut l’air déstabilisé l’espace d’une demi-seconde.

Puis il fit quelque chose auquel elle ne s’attendait pas : il lui sourit. Ce fut à son tour d’être déstabilisée. Elle retrouva sa contenance et lui demanda ce qu’il lui voulait. Il ne prétendit pas être surpris qu’elle lui parle ou qu’elle l’ait reconnu. Fantôme du passé, il se présenta comme son frère, ou plus précisément son demi-frère. Il l’avait suivi depuis une semaine, sans jamais trouver le courage de lui parler, mais depuis qu’il avait appris son existence, il avait souhaité la rencontrer. Leur père était décédé trois mois plus tôt et il avait fait tout en son pouvoir pour la retrouver. Mais, lorsqu’il l’avait vue sortir de l’immeuble imposant où elle travaillait, il n’avait pas réussi à l’aborder. Le temps passait et cela devenait plus difficile pour lui. Elle se méfia. Il lui tendit sa carte d’identité.

Ils s’assirent sur le quai du métro, silencieux pendant plusieurs minutes alors qu’elle examinait la carte sans trop savoir quoi en penser. Elle leva le regard vers lui. Allait-elle laisser une part de son passé s’insinuer de nouveau dans sa vie ou, au contraire, était-il une part de son futur ? 

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