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Les débuts de l’aventure : la première affaire (3/3)18 min de lecture

Lorsque je me rendais au cabinet ce jour-là, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. La visite chez cette Séréna n’avait pas donné grand-chose. J’avais espéré une révélation comme on en voit dans les films. La réalité m’avait rattrapée. Mon conjoint ne disait rien mais je le sentais dubitatif quant à ce nouveau travail. Toute la famille m’avait soutenue dans ma décision, mais je n’arrivais pas à leur faire dire ce qu’ils pensaient vraiment. Plongée dans mes pensées, je faillis rater mon arrêt de métro. 

Il faisait bon ce matin-là. Une légère brise se laissait sentir. Les hauts buildings de la rue donnaient le tournis si on y passait pour la première fois. Malgré la force de l’habitude, si je levais le nez, la sensation me revenait. J’aimais tellement ce quartier… Il avait joué en partie dans ma décision d’accepter le poste. Arrivée devant la porte de l’immeuble, je m’arrêtai. Quelque chose me trottait dans la tête, sans que je sache réellement quoi. Je soupirai puis passai le pas de la porte. 

Ils n’étaient pas là, étrange. Le temps que je me pose derrière le bureau, la tête pleine de théories, je les entendis monter les escaliers, en pleine discussion mouvementée. 

  • Elle nous ment, j’en suis sûre ! Elle nous cache quelque chose, ce n’est pas possible.
  • C’est notre cliente, pourquoi elle nous cacherait quelque chose ? 

Il stoppèrent net en me voyant, debout derrière mon bureau. 

  • Bonjour ! fis-je en souriant.
  • Nour, dites-lui que c’est ridicule. 

Je ne fis pas mine de ne pas avoir entendu. Inutile de mentir, ça aurait été presque les insulter.

  • Les gens ne sont pas toujours rationnels. Pas souvent, en réalité. Je ne serais pas choquée si elle nous cachait quelque chose.
  • Voilà, fit-elle en le regardant d’un air satisfait.
  • Bonjour Nour, fit Georges. Je comprends bien ce que vous voulez dire, mais en l’occurrence, on recherche son mari. A qui elle a dévoué toute sa vie.
  • J’en conclus que nous n’avons pas de nouvelles informations ?
  • Notre cliente nous maintient que le bébé est l’enfant de sa belle-sœur. 
  • Sa belle-sœur ? fis-je, étonnée. Mais elle n’a pas de belle-sœur.

Malia et Georges se regardèrent, étonnés.

  • Comment tu sais ça ? demanda Malia, les sourcils froncés.
  • Vous m’avez demandé de faire des recherches, j’en ai fait. J’ai tout l’arbre généalogique sur cinq générations, affirmai-je en leur tendant une feuille.

Ils la consultèrent, toujours sous le choc de la nouvelle.

  • Alors, soit son mari lui a menti, soit elle nous cache quelque chose.
  • Elle nous a affirmé que la belle-sœur était décédée. Elle a dit également qu’elle n’a jamais vu sa nièce de son existence. Son mari semblait heurté à chaque fois qu’elle amenait le sujet, en disant qu’il l’avait perdue de vue ; elle a donc laissé tomber, expliqua Georges. 
  • Bien joué, Nour, ajouta Malia.
  • Oui, oui, bien joué, dit Georges l’air pensif, tout en avançant vers leur bureau. 

***

Il se promenait seul dans les rues. Ces rues tellement familières. Il etait légèrement éméché. C’était un état nécessaire pour lui lorsqu’il touchait à un point critique de son enquête, un nœud qui, démêlé, éclaircirait tout. Comme si l’alcool aiguisait ses sens. C’était sûrement une connerie. La réalité c’est que ça le déshinibait et le mettait plus facilement dans les bottes d’un fou. Ce monde le dégoûtait et l’impressionnait en même temps. Il l’admirait et le vomissait. Comme s’il était un spectateur extérieur et n’en faisait pas partie. Se sentir à part et exclu faisait partie intégrante de sa vie. Il se sentait à la fois supérieur et inférieur.

Jamais il n’avait trouvé sa place réelle. Sauf une fois. Cet endroit, il le gardait précieusement dans son cœur et sa tête. En attendant de le retrouver, il naviguait sur les chemins tortueux du monde. Il semblait paradoxal qu’il se soit lancé dans un métier qui le mettait en contact avec ce qu’il y avait de plus vil au monde. Peut-être pour maintenir ce dégoût, pour ne jamais oublier ce dont l’homme est capable. Peut-être pour se punir de ses erreurs du passé et s’infliger la souffrance de l’injustice.

Cette première enquête lui renvoyait l’image détestable de l’homme qui se croit tout permis. Il y a une raison pour laquelle des gens comme lui n’arriveraient jamais au pouvoir : un sens trop fort de la justice. Une recherche d’égalité et non une recherche de gloire, d’argent ou d’emprise.

Je posais le stylo. J’avais beaucoup écrit ce soir. La journée avait été assez calme. Depuis la révélation du matin, nous n’avions pas beaucoup avancé. Mais tout cela m’inspirait énormément. Je n’avais jamais autant écrit que ces derniers jours. Tom ronflait à côté de moi. Paisiblement. Je le regardais avec tendresse, lui qui me soutenait dans cette aventure risquée. J’espérais que nous aurions du nouveau demain. J’allais me lancer dans de nouvelles recherches et espérer qu’elles payent.

***

  • J’ai une idée, dit Malia. 

Nous nous tournâmes tous les deux vers elles.

  • Nous avons été biaisé dès le début par les informations données par notre cliente. Nous avons fait quelques recherches, sans plus. Grâce à Nour, nous avons eu une info cruciale qu’elle ne nous a pas donnée, soit volontairement soit involontairement. Alors reprenons les bases, partons du principe que rien de ce qu’elle nous dit est vrai ou complet. Il faut que nous repartions au début : que s’est-il passé concrètement le jour de la disparition de son mari ? Apparemment il était au travail. Alors, rendons-nous à la banque et posons des questions. Nous n’avons pas poussé assez loin la première fois.
  • Si on débarque comme ça, personne ne va rien nous dire, fit Georges avec une moue, tu le sais bien. J’en ai fait les frais. 
  • C’est pourquoi Nour va s’en charger.
  • Comment ça ? dis-je à l’unisson avec le détective.
  • Tu te fonds dans la masse. 

Je fis, malgré moi, une moue boudeuse.

  • Pas comme ça, ajouta-t-elle. Je veux dire que, contrairement à Georges et moi, tu peux plus facilement acquérir la confiance des gens. Si tu vas sur place et que tu tu papotes un peu avec le personnel, je suis sûre qu’ils te diront des choses qu’ils ne nous diront pas à nous si on arrive avec nos gros sabots de détectives. 

Je ne réfléchis même pas à la proposition et j’acquiesçai. J’étais plus que prête à aller sur le terrain ! Georges fit un signe de tête à Malia et ils s’enfermèrent dans le bureau. Il était clairement réticent. A un moment, la porte s’ouvrit et elle me dit : 

  • Tu as conscience du danger ?
  • Oui, bien sûr, mais il est quand même limité.
  • Tu vois ! dit Georges. Non, on ne sait pas s’il est limité. Soit tu y vas avec une réelle conscience de ce que ça veut dire, soit tu n’y vas pas. Tu as une famille !

C’était la première fois qu’il me tutoyait. Je prenais ça pour un compliment : j’étais vraiment partie intégrante de l’équipe et il se souciait de moi. 

  • Le danger, je l’ai accepté en signant un contrat pour ce poste. Que ça soit derrière mon bureau ou à la banque, il est là et je ne suis pas naïve.

Il me regarda quelques secondes.

  • Bien, allons-y alors.

Sur le chemin, nous passions en revue les informations à glaner et la meilleure manière de s’y prendre. Mais j’avais déjà ma petite idée. Arrivée à la banque, je faisais mine de chercher une copine.

  • Mais si, Fanny, 1,65m, fausse blonde, toujours des talons noirs, les cheveux en chignon… Elle m’a dit qu’elle avait démarré la semaine dernière !
  • Jamais entendu parler, madame, je suis désolé. 
  • Elle m’a encore fait une blague… Et moi qui viens de loin pour la voir ! Je pourrais emprunter votre téléphone pour l’appeler ? Mon portable n’a plus de batterie.

Le jeune homme me regarda, puis me tendit son téléphone avec un peu de réticence. Je feignais d’appeler Fanny en composant le numéro d’une amie qui ne comprit rien à rien et me raccrocha au nez.

  • Merci beaucoup ! Quelle histoire… En plus, j’ai entendu parler d’une histoire ici, fis-je plus bas, et j’espérais qu’elle puisse me donner les derniers ragots.

Une employée, la quarantaine, était à côté et m’entendit parler. Le jeune homme ne répondit rien, je le remerciai puis fis mine de partir. J’oubliais volontairement mon sac sur le comptoir. 

  • Madame, madame !

Comme je l’espérais, l’employée me rapporta mon sac.

  • Oh, merci beaucoup ! Je n’ai vraiment pas toute ma tête. Cette blague m’a bien perturbée.
  • Je comprends. Mais, fit-elle en baissant la voix, qu’avez-vous entendu ?

Je fis la moue, comme hésitante.

  • Vous pouvez me parler, je suis discrète, ajouta-t-elle avec assurance.
  • Il paraît qu’un monsieur haut placé a disparu. Je ne sais pas depuis combien de temps, mais apparemment ça fait du remue-ménage.

Je marquai une pause.

  • Ce ne serait qu’une rumeur ?
  • Non, non, c’est vrai. 

Elle me prit par le bras, m’emmena un peu sur le côté en regardant autour d’elle s’il n’y avait pas d’oreille qui traînait puis ajouta : 

  • Un collègue m’a dit qu’il l’avait vu partir avec une femme. Jeune. La version officielle est qu’il a démissionné à cause de soucis familiaux. Mais tout le monde pense qu’il a fugué avec une femme plus jeune. En même temps, son épouse n’a vraiment pas l’air commode. On la dirait sortie d’un autre temps. 

Je m’exclamai et hochai la tête pendant que l’employée m’en disait plus que nécessaire. On sentait qu’elle était frustrée de ne pouvoir en parler avec ses collègues. On avait dû leur interdire de parler plus en amont de cette affaire. 

Lorsque je retrouvai mes deux employeurs dans le café où ils s’étaient installés, ils me regardèrent arriver avec espoir. Ils ne furent pas déçus. 

  • Il faut qu’on retourne chez cette Séréna. Il s’agit probablement d’elle.

Je donnais la description qu’on m’en avait faite et cela semblait coller à cette femme. Ils se levèrent.

  • Quoi, maintenant ? dis-je.
  • Tu veux attendre qu’ils aient déménagé ? 

Je pris mon manteau, avalai la fin de mon café et nous nous mîmes en route. 

De nouveau, ce fut à moi de montrer mon visage, car il était inconnu dans la maison mystère. 

  • Le plus simple, c’est de te faire passer pour quelqu’un qui veut acheter dans le quartier et se renseigne un peu pour ses enfants. 
  • Bonne idée, répondis-je à Malia. 

Cette fois, c’était plus concret. Je ressentais la proximité du danger. Georges n’était pas tranquille mais il savait que nous n’avions pas d’autre solution, en tout cas pas de meilleure solution. Je pris une profonde inspiration puis sonnai à la porte. 

  • Bonjour, fit une dame d’un certain âge. Que puis-je pour vous ? 

Ça ne devait pas être la même que la dernière fois, car les détectives m’avaient décrit une jeune, d’une vingtaine d’années maximum. Celle-ci avait la cinquantaine. 

  • Bonjour. Est-ce que vous auriez cinq minutes à m’accorder ? Je souhaite emménager dans le quartier et j’aurais voulu avoir un retour de quelqu’un qui connaît bien l’endroit. Ça fait longtemps que vous êtes ici ?

Elle me regarda avec méfiance.

  • Quelque temps, oui. Vous avez repéré un appartement ?
  • Une petite maison, deux rues plus loin, dis-je avec assurance.

Je m’étais renseignée sur les locations et ventes disponibles aux alentours.

  • A côté de la maison des McLannister ? s’enquit-elle.
  • Je ne saurais dire, désolée, répondis-je avec un sourire.

La méfiance s’effaça un peu de son visage puis elle m’invita à entrer.

  • Je peux vous servir quelque chose ?
  • Je vous remercie, je ne voudrais pas abuser, fis-je en m’asseyant sur le canapé anthracite installé dans un salon décoré avec bon goût ; minimaliste mais distingué. 
  • Alors, dites-moi, fit-elle en s’installant en face de moi, sur un petit fauteuil, que voulez-vous savoir ?
  • Des généralités : le voisinage, les écoles, les commerces…

Elle prit le temps de me répondre, très gentiment. J’en culpabilisai presque de lui mentir si effrontément. 

  • Super, merci beaucoup, vous êtes adorable. Vous connaissez bien les écoles, vous avez des enfants alors ? m’enquis-je prudemment. 
  • Oui, j’ai une fille. Elle est grande maintenant, mais elle a été dans les meilleures écoles du quartier, expliqua-t-elle fièrement, baissant le bouclier temporairement. 

C’est à ce moment-là que la dite fille entra en scène. Elle était en jeans et t-shirt uni, un ordinateur portable sous le bras. Elle regarda sa mère d’un air interrogateur.

  • Cette dame souhaite emménager dans le quartier, elle voulait me poser quelques questions.

La fille s’assit à côté de sa mère.

  • Vous vous appelez comment ? demanda-t-elle avec encore plus de méfiance que sa mère.

Je fus prise de court. J’avais pensé à tout mais pas à ça.

  • Jane Goodstein, dis-je en regrettant aussitôt ma réponse.

Elle ouvrit son ordinateur et commença à taper. Je tentai de garder mon calme puis envoya un sms à Georges et Malia, sentant que j’allais avoir besoin de leur aide.

  • Aucune photo ne correspond, lâcha-t-elle sur le même ton lapidaire. 
  • Je ne suis pas sur les réseaux sociaux, répondis-je avec un sourire et le plus d’assurance que je pus.
  • Je suis sur la banque gouvernementale, madame. 
  • Mais c’est illégal ! fis-je, outrée, afin de détourner l’attention sur l’évidence.
  • C’est un autre sujet.
  • Excusez ma fille, elle est très méfiante. Et très douée avec les ordinateurs, fit-elle avec un sourire. Ce n’est pas non plus très légal de rentrer chez les gens sous un faux prétexte, si ?

Son sourire s’effaça. Heureusement, la porte sonna à ce moment-là. 

  • J’y vais, fit la jeune fille.

On entendit un petit cri puis mes deux sauveurs déboulèrent dans le salon.

  • Vous ?! fit la dame qui m’avait accueillie. 
  • Nous sommes désolées mais il nous faut la vérité, dit Malia en s’approchant de moi.
  • Sur ? 
  • Sur Séréna Malkevich. C’est vous, n’est-ce pas ?

La femme se décomposa. 

  • Maman ? Réagis !

Personne n’osait bouger. Forcément, aucun de nous n’était en position d’appeler la police. 

  • Laissez-nous en paix, dit la femme d’un ton froid. 

Elle avait retrouvé toute sa contenance. Nous ne pouvions pas faire grand chose de plus. Nous ne possédions pas de mandat d’arrêt et nous n’avions pas le pouvoir de les forcer. 

  • Allons-y, dit Malia.

Nous étions assis dans un café. Nous discutions de l’affaire. Nous étions probablement proche de sa résolution… La femme avec qui j’avais discuté se prénomait sans doute Séréna Malkevich. Vingt-deux ans plus tôt, elle avait probablement eu une aventure avec un homme d’affaires important. Elle était tombée enceinte, mais son mari devait être promis à une autre (de nos recherches, nous avions conclu que le mariage était arrangé et non d’amour). Durant toutes les années qui ont suivi, le père, même s’il n’avait pas reconnu l’enfant, avait soutenu financièrement Séréna. Elle avait accepté la situation, ne voulant pas faire de vagues et inquiéter l’homme qu’elle aimait. 

Nous avions fait notre devoir et avions rapporté notre trouvaille à notre cliente. Elle paraissait satisfaite. Son assurance et une brève étincelle dans ses yeux m’inquiétèrent. J’en fis part à Malia qui partagea mon appréhension. Elle nous tendit un chèque et nous rentrions au cabinet. Nous avions tous un malaise vis-à-vis de cette entrevue. 

Nous nous doutions que Séréna était impliquée dans la disparition du mari de Diane K. Cependant, les indices étaient maigres. A part retourner sur place et tenter une autre approche, nous n’avions pas beaucoup de solutions. Alors que nous discutions de la meilleure (et moins illégale) manière de fouiller la maison, le téléphone sonna. Georges décrocha.

  • Bonj… Mais…, tenta-t-il, l’air révolté. D’accord, entendu, conclut-il résigné.

Nous lui lancions des regards interrogateurs.

  • L’excentrique veut qu’on laisse tomber l’affaire.
  • Mais pourquoi ? Nous lui avons bien montré que nous étions sur une piste !
  • Elle nous envoie un deuxième chèque par coursier, ajouta-t-il.

Malia était outrée. Bien sûr, l’argent était le bienvenu, mais l’affaire n’était pas résolue.

  • Elle a bien insisté sur le fait de laisser tomber, qu’elle allait s’en remettre à la police. Elle ne veut surtout pas que l’on continue. J’ai presque envie de la contredire… ajouta Georges, pensif.

Il fit donc l’inverse de ce qu’on lui avait dit et, quelques jours plus tard, prit un café avec un vieil ami, inspecteur de police. Il assura n’avoir rien entendu concernant cette affaire, à part quelques rumeurs. Une semaine passa et rien de neuf sur l’affaire… 

  • Regardez ! fis-je, en brandissant le journal devant les yeux des deux détectives.

J’étais entrée, en trombe, sans frapper à la porte du bureau. Malia attrapa le journal et le posa sur le bureau. Je montrai du doigt un petit article, dans la rubrique nécrologie : le nom du mari y apparaissait. Les jours suivants, d’autres articles parurent, spéculant sur le sort de cet homme. Diane avait disparu… Georges rappela son contact et, cette fois, l’entrevue fut plus productive. 

L’inspecteur lui expliqua qu’une enquête avait été effectivement lancée. La police en avait conclu que la fille de Séréna, ayant retrouvé la trace de son père, l’avait kidnappé et avait fait du chantage à sa banque. Elle avait menacé de vider les comptes des clients, c’est pourquoi personne n’avait osé nous parler de cette histoire. Extrêmement douée avec les ordinateurs, elle pouvait le faire en peu de temps. Du côté de la banque, ils avaient été très prudents, le temps de trouver la bonne stratégie. Elle avait demandé certes une rançon, mais également que la vérité éclate au grand jour, que son père démissionne, qu’il assume ses erreurs. La mère avait fini par avouer tout ça lors d’une interview un peu animée avec un des inspecteurs.

Quant à notre cliente, nous avions déduit que, souhaitant la vérité sur les virements récurrents, elle avait fait appel à nous. Le temps de se mettre discrètement une petite fortune de côté (car un divorce ne lui aurait rien laissé), elle avait patiemment attendu. En réalité, la fille Malkévich n’avait pas enlevé son père, c’est lui qui s’était réfugié chez sa fille et, avec sa mère, elles avaient simulé un enlèvement : sentant le vent tourner, il avait voulu se protéger. N’acceptant pas l’humiliation de la situation, sa femme avait embauché Malia et Georges pour retrouver sa trace et avait mis un terme à son mariage de manière radicale. Ca devait être ce qui s’était passé, à quelques détails près…

***

Une étincelle s’était réveillée en moi. Je revivais. J’adorais ma famille, certes, mais trouver cette stimulation, cette excitation, cet intérêt… Pour la première fois depuis des années, je n’avais pas pensé à mes enfants pendant plusieurs heures. J’avais réussi à me focaliser sur l’affaire, sur moi, sur mon talent inexploité. Les deux détectives m’avaient chaudement remercié et félicité. Ils étaient très heureux de m’avoir recrutée. “Loin d’une simple secrétaire, ça se sentait dès le début”, me dit Georges avec un sourire. Malia m’envoya un clin d’œil, comme pour me dire que c’était surtout elle qui l’avait perçu. 

J’étais en train de faire le deuil de la personne que j’avais été, et j’espérais que je ne perdrais pas l’amour de mes proches pour autant. Mais ce nouveau travail réveillait en moi quelque chose que j’avais longtemps enfoui, par responsabilité, par peur, par nécessité. A contrario, il était nécessaire pour moi, aujourd’hui, de la laisser paraître au grand jour. 

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