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La tête dans les étoiles (2/3)13 min de lecture

  • Bonjour, je suis Jérémy.
  • Bonjour, Alexandra.
  • Est-ce que vous souhaitez mettre la caméra ?

J’y réfléchis deux secondes.

  • Et vous ? demandé-je à mon tour.
  • Je n’ai rien à cacher mais je ne sais pas si on peut se faire confiance.

Nous échangeons pendant cinq minutes sur nos connaissances respectives de l’affaire et les raisons de notre implication.

  • J’ai entendu ce cri et une jeune femme qui était dans le coin a fini à l’hôpital la nuit même. La coïncidence était trop forte : j’ai voulu enquêter. Je n’ai pas appelé la police sur le coup, et je le regrette. J’ai enquêté un peu, en discutant avec des personnes du quartier et en regardant sur les réseaux sociaux : pas de doute, quelque chose se trame.
  • J’en suis persuadée aussi. Suite au cri que j’ai entendu, un corps a été retrouvé. Pourtant, j’ai appelé la police, et ils n’ont rien trouvé sur le moment.

J’hésite un instant, puis je mets ma caméra, instinctivement. Il fait de même dans la seconde qui suit.

  • Est-ce qu’on est fou de s’obstiner dans cette histoire ? C’est le travail de la police…
  • Je me suis posé la question, mais toutes les infos tournent en boucle dans ma tête, je n’arrive pas à lâcher… me dit-il en guise de réponse.

Nous continuons à parler, pendant une bonne dizaine de minutes. Puis, il me propose de nous rencontrer. Je dis oui, sans savoir si je prends un risque… 

  • Par ici, me fit-il en agitant le bras.

Nous nous retrouvons à la terrasse d’un café, pas loin de l’aquarium de la Porte Dorée. Il est plus petit en vrai qu’il ne m’en avait eu l’air la veille. Il est 11h et les rues sont encore assez calmes, comme un dimanche dans Paris. Il reste levé le temps que j’arrive et me tend la main. Ses cheveux bruns sont ébouriffés, son teint pâle souligné par un t-shirt noir portant le nom d’un groupe de rock, ses yeux pétillants d’intelligence. J’enlève ma veste que je regrette avoir prise, le temps étant plus clément qu’il n’en avait l’air. Après avoir posé mon sac à main par-dessus, je m’assois. Je souris intérieurement : nous portons quasiment la même tenue. Jeans, baskets, t-shirt de même couleur. Mes cheveux sont tout aussi en bataille que les siens.

  • Je ne sais pas trop par où commencer, me dit-il, un sourire gêné aux lèvres, en passant la main dans sa tignasse.
  • Moi non plus… Je ne sais pas trop ce que je suis en train de faire. 

Nous discutons un peu de nos vies respectives, puis la conversation revient naturellement au sujet qui nous intéresse. 

  • En vrai, il n’y a qu’une chose à faire, dit-il avec véhémence, c’est retourner sur les lieux des différents incidents. Nous avons épuisé le reste de nos ressources.
  • C’est vrai, fais-je, pensive. Mais n’est-ce pas trop risqué ? 
  • Ca, je n’en sais rien. Je ne pense pas, mais je ne peux rien affirmer…

Nous décidons de nous retrouver le lendemain soir, après la journée de travail, pour étudier les lieux. Il fera encore jour, ce ne sera pas trop risqué. Et, selon ce que nous trouvons, nous reviendrons le vendredi vers 20h, pour voir si le cri persiste. 

Sur le chemin du retour, je reste pensive. Plus j’y réfléchis, et plus je me dis que je suis folle. J’ai décidé de me lancer dans une enquête absurde avec l’aide d’un inconnu. Cette irrationalité ne me ressemble en rien. Ma vie étant assez routinière, je suis en train de la pimenter de manière peu prudente. J’ai clairement besoin d’un peu de folie, mais là… Je ne suis pas en train de faire les choses à moitié. Pour la première fois depuis longtemps, quelque chose me prend aux tripes, je ressens un feu que je n’avais pas ressenti depuis… Je chasse cette pensée de mon esprit. J’ai pourtant tant de choses passionnantes dans ma vie. Elle est bien remplie, dynamique, intéressante… Pourquoi m’imposer de tels risques ? Je lève le nez avant de m’engouffrer dans le métro. Je reste plantée là, pendant une bonne minute. Puis, je soupire et descends les marches d’un pas lent et hésitant. 

  • Mais t’es folle non ?

La voix de Marie, une des amis que j’ai vu l’autre soir, retentit dans mes écouteurs. Elle a senti que quelque chose n’allait pas et m’a appelée. Elle a ce don pour tirer les vers du nez de n’importe qui, elle aurait fait un flic formidable. Au lieu de ça, elle s’occupe de gamins dans un centre pour adolescents en difficulté. Ceci dit, ça lui convient parfaitement également. 

  • J’en ai conscience, mais je ne sais pas pourquoi, je me sens le de….
  • Arrête, tu ne trouveras aucun argument pour me convaincre. Sens du devoir, c’est ça que t’allais dire ? Tu entends un cri dans le bois, si ça se trouve c’est un animal, mais non, tu dois risquer ta vie avec un inconnu pour avoir le fin mot de l’histoire ? Si tu t’ennuies ou que ta vie te semble trop plate, trouve-toi un mec, sors en boîte t’amuser, pars en week-end dans un endroit un peu fun, mais ne joue pas les détectives avec un mec rencontré sur internet !

Elle reprend son souffle et j’en profite pour rebondir.

  • Tu me connais, je ne vais pas faire les choses sur un coup de tête. Il y a quelque chose de rationnel derrière tout ça, même si je ne peux pas te l’expliquer. Laisse-moi finir, ajouté-je, sentant qu’elle veut reprendre sa tirade. Ce n’est pas que ma vie m’ennuie ou me semble plate, c’est que ce brin de folie qui sommeille en moi s’est réveillé et que je pense – j’en suis persuadée – pouvoir résoudre cette énigme. Ce n’est pas si dangereux, on va aller au bois de Vincennes à une heure où il fait encore jour.
  • Et le type ? 
  • J’ai un bon instinct, il m’a rarement trompé, pour ne pas dire jamais.
  • Il y a une première fois à toute chose, se contenta-t-elle de dire. Tu es peut-être persuadée mais je ne suis pas convaincue. Tu me fais peur…

Un lourd silence s’installe entre nous.

  • Tu exagères… finis-je par dire. Ce n’est vraiment pas grand chose. Je ne vais prendre aucun risque insensé, je te le promets.
  • Promis promis ?
  • Promis.

Je sens le soulagement dans le soupir qu’elle pousse. Mais, au fond de moi, je ne me sens pas aussi rassurée que je ne le dis. J’essaye autant de la convaincre que de me convaincre. Pourtant, une force invisible me pousse à continuer.

Il est surexcité quand je le retrouve. Son état m’effraye un peu puis je me détends : c’est Marie qui m’a fait peur. Il me salue à peine et me dit : 

  • Je propose qu’on se répartisse la recherche, pour être plus efficaces. 

Nous cherchons aux alentours de l’endroit où j’ai entendu le cri. Les flics ayant déjà regardé les environs le soir où je les ai appelés, j’ai peu d’espoir. Nous cherchons comme ça, en cercle, pendant vingt minutes. Je suis en train de me dire que je vais aller voir Jérémy pour lui dire que j’abandonne. A cet instant, mes pas me semblent étranges. Comme si j’avais marché dans un léger trou, sans sentir la terre, mais quelque chose de plus rigide. Je refais le chemin inverse. Même sensation. 

  • Jérémy ! Viens par ici.

Il arrive en courant et je lui fais la remarque. Il essaye de marcher au même endroit et me confirme que quelque chose le dérange. Il se met à genou et touche le sol avec les mains. Puis il toque. Un bruit sourd avec de l’écho. Le même écho que le cri. Nous nous regardons, l’air entendu, un peu effrayé, excité.

  • Il doit y avoir une trappe, dit-il avec nervosité.

A force de tâter le sol, nous trouvons la poignée. Nous soulevons la trappe prudemment, le cœur battant. Une échelle permet de descendre. Je fais un signe de tête négatif : je n’ose pas l’emprunter. Jérémy y va, avec assurance. Je me dis qu’il est un peu fou. Trois minutes après – trois très longues minutes – il remonte.

  • C’est comme un mini-appartement là-dessous. Quelqu’un y vit, c’est certain. 
  • Vite, il faut refermer la trappe et appeler la police alors.
  • Et leur dire quoi ? Qu’un fou habite un trou dans le sol ? On fait comme on a dit, on revient vendredi et on attend de voir ce qu’il se passe. 

Je ne suis que moyennement convaincue, mais j’ai envie de savoir si nous allons entendre le cri de 20h30. Ma curiosité me rattrape et j’accepte. Comme il est encore tôt, nous décidons d’aller nous poser prendre un verre, pour nous remettre de nos émotions. 

  • Ça va être long trente minutes à attendre…
  • Oui, mais c’est nécessaire.

Il m’intrigue. Est-ce qu’il a une réelle connaissance policière ou est-il juste versé dans la fiction ? Ce qui est certain, c’est qu’il fait sens. Sa manière d’enquêter est cohérente, même si un peu dangereuse sur les bords. Mais est-ce que toute enquête n’est pas dangereuse ? Nous discutons un peu, assis derrière un tronc d’arbre. Nous essayons d’être le plus discret possible. A 20h20, nous observons une silhouette se diriger vers la trappe. Après avoir vu deux personnes qui semblaient s’y diriger, nous ne savons si nous devons y croire. Nous osons à peine respirer. La personne s’arrête, regarde autour d’elle attentivement, puis trouve sans effort la poignée et soulève la trappe. Celle-ci se referme. Nous attendons. Mon rythme cardiaque s’accélère à chaque minute qui passe. Puis, nous l’entendons. Aucun doute, c’est le même. Ce cri strident qui m’a glacé le sang cette première fois. Jérémy s’élance vers la trappe. Je reste tétanisée. Je réussis à crier : “Non, Jérémy…”, mais il est trop tard. J’appelle la police sans réfléchir. Je les attends nerveusement, debout près de la trappe, sans oser y aller. Je me sens peureuse mais c’est mon bon sens, mon instinct de survie qui parle. La police arrive, je leur indique l’endroit. A partir de ce moment-là, toutes les actions me semblent être au ralenti. 

Je suis assise sur un tronc d’arbre, un peu à l’écart, pour ne pas être dans les pattes de la police. Le temps d’attente me paraît interminable. Un policier sort de la trappe, au téléphone avec le 15, déduis-je de sa conversation. Quelques minutes plus tard, je ne saurais dire combien, une ambulance arrive. Je me lève, à l’affût. Je les vois ressortir peu après avec une personne dans les bras, qu’il pose sur un brancard. C’est Jérémy. Je commence à m’avancer d’un pas rapide. D’une voix qui me paraît très lointaine, un médecin m’explique qu’il est dans un état grave, mais qu’il a de bonnes probabilités de s’en sortir. Il s’en va juste après que j’ai eu le temps de lui demander dans quel hôpital il l’amène. Je ne sais même pas qui prévenir… Je m’approche des policiers qui m’écartent alors que le reste de l’équipe médicale sort avec une autre personne dans les bras, qui semble inanimée. Ils la posent sur un brancard également, mais couvrent son visage. Toute cette scène se déroule de manière entrecoupée pour moi, à cause du choc : quand le reste de l’équipe est-elle arrivée ? Qui a amené les brancards ? Impossible de le dire… Alors qu’ils amènent le corps, un policier s’approche de moi.

  • Madame, répète-t-il, il va falloir venir faire votre déposition au poste. Préférez-vous repasser demain ? 
  • Je… dis-je après un silence. Savez-vous qui prévenir ?
  • Pour ?
  • Pour Jérémy. Je ne sais pas qui prévenir.
  • Ne vous inquiétez pas, on s’en charge. On a retrouvé sa pièce d’identité et mes collègues vont contacter sa famille. Pour la déposition… ? 
  • Je… Je ne sais pas, peut-être que c’est mieux maintenant, tant que c’est frais dans ma tête.

Je le suis jusqu’à la voiture qui m’emmène au poste. Quand je sors de là, tout me semble comme un rêve. Il est 23h passé. J’ai dit tout ce que j’avais à leur dire. Pour le moment, le mystère reste entier quant aux agissements de l’homme décédé. Je décide de me rendre à l’hôpital, pour avoir des nouvelles de Jérémy. 

  • Son nom de famille ?
  • Je ne… je ne sais pas. Je me suis retrouvée avec lui, à cet endroit, un peu par hasard. 
  • Je ne peux pas vous aider. 

A cet instant, je vois passer le médecin qui était dans le bois. 

  • Docteur ! 
  • Mademoiselle, votre ami est hors de danger, me dit-il de but en blanc. Je suis désolée, mais je dois retourner à mes patients. Rentrez vous reposer, vous pourrez le voir demain aux heures de visite.

Rassurée, je prends un taxi pour rentrer et m’écroule sur mon lit après une bonne douche chaude. Il est 1h du matin. 

Cette nuit-là, je fais des rêves improbables, tous plus fous les uns que les autres. Mon esprit est en ébullition, il rejoue tous les événements des dernières semaines. Je ne sais plus où j’en suis… Je me réveille à plusieurs reprises et mon esprit embrumé par la nuit et le choc se lance de nombreuses théories toutes plus folles les unes que les autres. Enfin, je finis par m’endormir alors que le soleil commence à pointer le bout de son nez…

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