Quelques soupçons 3/44 min de lecture
Je ne supportais pas que Georges ne veuille pas que je l’aide : danger ou pas, nous étions partenaires.
J’avais déjoué les interdictions et je m’étais renseignée sur la base du peu d’informations disponibles. J’avais trouvé que la femme assassinée – meurtre maquillé en suicide – avait fait des achats importants dans des boutiques de luxe le jour-même. Elle se préparait pour un voyage entre copines au Caraïbes et avait vidé les boutiques de maillots de bain et habits de plage. Curieux pour quelqu’un qui compte se suicider… Elle prenait des antidépresseurs, mais ce depuis plusieurs années et son état était stable. Le mari avait réussi à faire passer ça pour une “rechute inévitable”. Soi-disant avait-elle perdu son chien quelques jours plus tôt et, être fragile, cela lui avait suffi pour la faire basculer de nouveau dans un état dépressif “qu’elle avait bien caché à son entourage, comme savent le faire les personnes atteintes de maladie mentale grave”. Idem, je m’étais renseignée sur le chien en question : cadeau donné à Noël dernier, elle n’en avait jamais été très proche. C’était la gouvernante qui s’en occupait principalement et qui avait été la plus affectée par sa disparition. Bref, la piste du meurtre n’avait même pas pu être évoquée car les hautes instances avaient demandé de classer l’affaire au plus vite, et, en suicide. J’avais réussi à voir le policier en charge de l’enquête, discrètement, dans un bar un peu miteux. Il m’avait donné des infos précieuses qui corroboraient les soupçons de la cliente de Georges.
Ce soir-là, quand elle est entrée, juste derrière moi, dans le bureau, nous avons compris que la fin était proche, que le dénouement de notre aventure approchait, et que le perdant partirait probablement les pieds devant. Heureusement, j’avais bien fait mon taff, et j’avais prévu le coup. Georges aussi, je ne vais pas mentir. A nous deux, nous avions planifié autour de ce probable scénario et nous étions préparés. Nous avons dit à Nour de s’en aller par l’escalier de secours. Nous n’avons même pas pris le temps de lui dire au revoir. Puis l’inévitable arriva.
Une ombre. Une silhouette derrière la porte. La première semonce. Le premier coup de feu. Georges et moi avons commencé à nous défendre. Elle sortit timidement un petit revolver de son sac. Elle ne tirait pas trop mal pour une novice. Cet idiot de Georges, en revanche, prit une balle dans la cuisse à vouloir jouer les héros. On a barricadé le bureau, on a mis tous les meubles qu’on pouvait devant, et on a fait ce qu’on a pu avec la trousse de premiers secours. Ce n’était pas un film : les balles ne pleuvaient pas, non. De chaque côté, on préservait nos munitions. Le calme est beaucoup plus angoissant qu’une pluie de balles dans cette situation, je vous l’assure.
“Je suis désolée”, murmura-t-elle. Rien de plus. Mais il n’y avait rien à dire de plus. On savait tous dans quoi on se lançait. Majeurs et vaccinés, nous avions fait notre choix en conscience de cause. “On n’y arrivera pas contre eux”, articula Georges malgré la douleur. On se regarda. Nous savions qu’il nous restait une seule chose à faire : déserter. Non pas se défendre, non pas tenter l’impossible, mais partir. La victoire ne serait pas nôtre : ils étaient plus nombreux, plus riches, plus influents.
Je pris l’enveloppe que j’avais préparée et Georges me tendit la sienne. On les mit toutes les deux dans une plus grande et on s’en alla par le même endroit que Nour. Peu de gens connaissaient ce chemin. Tous les deux, ils prirent un taxi pour l’aéroport. Je continuai à pieds jusqu’à un garde-meubles. Là, je sortis une clé de mon sac – une clé qui s’y trouvait depuis le jour où nous avions ouvert notre cabinet – et j’ouvris la porte d’une des pièces. Je jetai l’enveloppe sur une table qui se trouvais à l’intérieur puis je fermai rapidement la porte. Je regardai une dernière fois autour de moi, afin d’être sûre de ne pas avoir été suivie, puis je pris les transports pour me rendre à mon tour à l’aéroport.
Notre avenir est incertain, mais on a réussi à sauver Nour pour qu’elle puisse rester avec sa famille, c’est déjà ça. J’espère que tout va bien pour elle. Je ne m’en fais pas, elle retombera sur ses pattes, elle le fait toujours.