Le Grand Incendie 6/97 min de lecture
[Je vous propose un récit en plusieurs parties. Une fois par semaine, je vais publier une partie de cette longue nouvelle. La sixième partie ci-dessous…]
La Lune, an 3 du nouveau régime
Olivia avait réussi à retrouver des enregistrements de musique terrestre. En effet, la plupart des musiques écoutées sur la Lune étaient des reproductions et quelques titres venus de Terre enregistrés en local et non télétransmis. Cette perte culturelle était extrêmement difficile pour cette mélomane. Elle rêvait de retrouver un piano sur lequel jouer. Il existait bien sur la Lune quelques synthétiseurs utilisés par les groupes locaux, mais pas de vrai piano.
Les instruments de musique sur la Lune comptaient parmi les denrées rares. En général, on écoutait des concerts diffusés depuis la Terre, ou des enregistrements faisant partie de la grande base de données collective. Quelques puristes avaient des enregistrements et lecteurs chez eux, quelques artistes amateurs réfugiés là avaient un instrument léger, mais, la place étant comptée, tout ce que le gouvernement considérait “superflu” ne devait pas prendre trop de place dans les bagages des futurs habitants lunaires.
Malina avait toujours dans son vaisseau une vieille guitare, vestige de ces années d’adolescence. Un des voisins qu’elle avait amenés avec elle possédait un violon, bien précieux qu’il avait emporté avec lui.
Mais Olivia n’avait pu prendre son piano. Et, après avoir fait le deuil de ses proches, elle avait également pleuré son compagnon de tous les jours, qui lui apportait un tel bien-être, une telle sérénité, un tel sentiment de complétude. Elle se sentait une et entière lorsque ses doigts naviguaient sur le clavier noir et blanc de l’instrument. Une sensation qu’elle ne retrouva jamais sur la Lune. Certes, lorsqu’elle put, à quelques rares occasions, jouer sur un synthétiseur, elle ressenti quelques relents de ce sentiment, mais ce n’était pas la même chose. Le toucher, la sensation, le son… tout était comme faussé. Mais bien mieux que rien.
Et nous voici un an après le début de notre histoire. Un an déjà a passé depuis l’embauche de Malina par Rilko.
UNE ANNEE
Un an sur la Lune paraissait interminable.
La luminosité, la chaleur, la végétation, la faune… tout y était morne car toute la luxuriance de la Terre n’y existait pas. Les loisirs y étaient automatiquement plus limités. Alors le temps passait plus lentement. Pour les habitants de longue date de la Lune, qui avait fait le choix de venir vivre ici, l’accoutumance ne fut pas difficile. En revanche, pour les rescapés du Grand Incendie, ce fut un poids de plus à porter. Une décision imposée et non un réel choix.
Malina et Rilko discutaient autour d’un café.
Ils étaient installés dans le bureau de ce dernier, pour traiter le dernier paiement.
- Tu pourrais faire les déplacements une semaine sur deux, tu sais, dit Malina en prenant les rations.
- Pourquoi dis-tu cela ? Ce n’est pas bon pour toi, en plus.
- Bien sûr, je préfère avoir plus de travail fixe. Je n’en ai pas besoin, mais je ne crache pas dessus. Je dis ça pour toi, que tu économises.
- A quoi bon ? Tu veux que l’on fasse quoi avec des rations supplémentaires ? Cette sortie fait du bien à tout le monde, et certes, ils se contenteraient de moins sortir, mais je ne veux pas les priver… nous sommes tous déjà bien trop privés, ajouta-t-il d’un air penseur.
- Tu ne t’en es toujours pas remis, n’est-ce pas ?
Il lui jeta un regard interrogateur.
- Tu sais très bien de quoi je parle.
Un silence pesant s’installa quelques secondes.
- Non. Je ne m’en remettrai jamais. Un part de moi est définitivement morte. Mais je suis en vie et ce serait une insulte à ceux qui n’ont pas survécu que de gâcher cette seconde chance. Alors, je suis un autre homme, certes, mais je compte vivre ma vie autant que possible sur cette astre maudit, en apportant mon aide à un maximum de personnes.
Malina resta silencieuse. Ce n’était pas son style de tenir ce genre de conversations, mais, elle ne sait pourquoi, la discussion lui venait facilement avec Rilko. Ils discutaient de sujets sérieux, de leur vie, de leurs expériences.
- C’est sombre. Dur. Même moi, je n’en suis pas là.
- Tu es plus forte que moi. Tu as cette espèce de carapace que tu ne retires jamais, j’imagine, et qui te permets de faire face à toutes les situations.
Elle rit. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas ri ainsi.
- Peut-être qu’on peut me simplifier autant. Mais tout être humain est plus complexe que cela, ne crois-tu pas ?
- Sûrement. Mais avec le peu d’informations que tu me donnes, je suis obligée de caricaturer.
- Si tu le dis.
Elle se leva.
- On pourra en parler la prochaine fois, si tu veux que mon image soit plus complète.
- Parler de moi ? Pas trop mon style.
- Réfléchis.
- On verra.
Elle lui adressa un petit signe de la main tout en ouvrant la porte du bureau, puis quitta l’immeuble. Elle s’arrêta quelques secondes devant son vaisseau, pensive. Il lui semblait qu’elle avait changé, cette dernière année. Les contacts fréquents avec Rilko semblaient l’affecter. Elle redevenait quelque peu “humaine”. Elle chassa ces pensées de son esprit et s’engouffra dans son véhicule.
LES AMIS
Depuis l’épisode du livre, Olivia et Yvgy avaient bien sympathisé.
Lorsqu’il était venu la rembourser, ils avaient commencé par parler lectures, puis littérature, et enfin musique. Ils s’étaient découvert des goûts communs, des passions étonnantes, et passaient des heures à discuter de choses et d’autres.
Cette nouvelle amitié était comme une respiration pour eux. Ils avaient quelque peu retrouvé le goût de vivre. Ils avaient une personne précieuse dans leur vie, avec qui ils pouvaient partager de vrais moments. Même leur partage sur les traumatismes de la Catastrophe leur paraissait moins douloureux, car ils se comprenaient. C’en était presque thérapeutique.
Rilko se félicitait intérieurement de cette nouvelle relation. Lorsqu’il avait mis en place la résidence, il souhaitait simplement accueillir des personnes dans le besoin. Puis quand il avait décidé d’embaucher Malina pour “promener” les “locataires”, il voulait les distraire et leur permettre de créer des liens. Et voilà que les résultats dépassaient ses attentes.
Ce jour-là, Olivia invita Yvgy à la rejoindre dans sa chambre, pour écouter un nouvel enregistrement qu’elle avait acheté lors de leur dernière sortie. Elle avait été interloquée lorsqu’il avait avoué n’avoir jamais écouté de blues. Elle avait alors passé deux mois à chercher un enregistrement digne de ce nom. Pour elle, c’était un grand moment.
Avec une telle musique, dans un tel contexte, elle espérait savoir si leur amitié resterait telle, ou si elle pouvait espérer plus. Elle n’était pas follement amoureuse, elle ne passait pas des heures à imaginer ce que pourrait être leur avenir, mais elle appréciait la compagnie de cet homme, sympathique, beau garçon, doux. Elle l’aimait beaucoup et se demandait si leur relation pouvait évoluer.
Mais avoir trouvé un compagnon de route après toutes les épreuves auxquelles elle avait fait face résultait du miracle pour elle !
Il frappa doucement la porte, et elle alla lui ouvrir. Elle avait toujours le réflexe de fermer à clé, à cause de ses angoisses. Il le savait mais ne l’avait jamais trop questionnée sur le sujet. Si elle voulait en parler, si elle était prête à partager, elle le ferait. Il ne la brusquerait jamais.
Il s’assit sur la petite chaise de bureau, alors qu’elle se posait sur le lit, l’appareil à la main. Il l’observait faire. Elle était quelque peu maladroite, mais douce à la fois. Elle prenait son temps pour faire les choses, mais était vive d’esprit. Il restait intrigué par cet être si intelligent et si fragile. Même sur Terre, parmi toutes les personnes qu’il avait rencontrées, aucune ne lui ressemblait. Son côté unique la démarquait de la foule. Et il était certain que, s’ils s’étaient rencontré là-bas, ils auraient tout autant sympathisé. Pas sur les mêmes sujets, peut-être, pas de la même façon, c’est certain, mais il aurait forcément apprécié cette personnalité si particulière.