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Le Grand Incendie 7/97 min de lecture

[Je vous propose un récit en plusieurs parties. Une fois par semaine, je vais publier une partie de cette longue nouvelle. La septième partie ci-dessous…]

LE TEMPS

Le temps est une chose improbable. Il dirige notre vie et reste pourtant ce qui existe de plus abstrait, de plus impalpable. Une simple notion dont nous sommes les esclaves. 

Qu’est-ce que le temps ? La mesure des jours qui passent, de notre existence, une espèce de moyen pour calculer nos actions. Un tyran qui nous culpabilise quant aux décisions que nous prenons sur la manière de vivre notre vie ? 

Mais le temps est avant tout relatif. Sur la Terre, sur la Lune, il n’est plus le même. Dans un moment agréable, au pire instant du monde, il nous apparaît différent. En cela, le temps est à la fois indispensable et absurde. Cette notion nous permet de régir notre vie, de ne pas la laisser filer entre nos doigts, et en même temps elle nous impose des aspects dont nous aurions préféré nous passer. 

Mais comment se fait-il qu’une mesure pourtant si précise soit perçue si différemment selon l’individu ou selon l’instant ? Pourquoi hier m’a paru ne durer que quelques secondes et aujourd’hui semble une année ? Pourquoi notre cerveau ne perçoit-il pas cette notion de la même façon d’un jour à l’autre ? 

Il y a quelque chose d’absolument fascinant et irritant lorsqu’on y réfléchit. Qui n’a jamais souhaité avoir plus de temps pour accomplir ses actions ? Qui n’a jamais voulu qu’un instant paraissant interminable ne se termine plus vite ? 

Le temps a fasciné toute les époques et fait couler beaucoup d’encre. Le rapport au temps reste très personnel. La perception humaine varie d’une personne à l’autre. Vous regardez une table : chacun va voir la table. Pas de doute sur la nature de l’objet. En revanche, deux individus côte à côte peuvent dire que, pour l’un, une minute semble s’être écoulé, versus deux heures pour l’autre, alors qu’en “réalité”, une demie-heure vient de passer.

Nous avons des objets qui mesurent le temps “réel” et nous en avons une perception “relative”. 

Sur la Lune, le contexte étant très différent de celui de la Terre, le temps semblait bien plus long. Les loisirs plus limités, l’espace réduit, la population peu nombreuse… tout allait au ralenti. 

Certains avaient bien essayé de s’approcher pour retourner sur leur planète lorsque les incendies avaient fini par s’éteindre d’eux-mêmes, par manque de combustible. Mais impossible de se rapprocher de l’atmosphère. Bourrée de dioxyde de carbone généré par les fumées des feux, elle n’était plus respirable. Une poignée de scientifiques sur la Lune tentait de faire des pronostics quant à la date à laquelle les fumées toxiques se dissiperaient et lorsque l’on pourrait alors rejoindre la planète. Mais le calcul n’était pas simple, et leurs projections semblaient effarantes. Avec les mesures rapportées de certains vaisseaux, leurs résultats dictaient une attente de plusieurs centaines d’années… Ils travaillaient d’arrache pied pour trouver une solution, voir comment on pouvait purifier l’atmosphère et accélérer le processus… Mais toutes les solutions aboutissaient à des missions suicide. Avec ce qui restait de l’humanité, on ne pouvait se le permettre. 

Alors les recherches se poursuivaient, mais l’espoir s’amenuisait…

L’ECONOMIE

L’argent est un concept purement terrien. Sur la Lune, plutôt que de dépenser de l’énergie à construire une monnaie, on décida de revenir au bon vieux troc, mais d’une façon plus organisée.

Chacun reçoit un nombre de rations prédéfinies tous les mois, en fonction de son activité professionnelle. Avec ces rations de nourriture, il peut soit les consommer, soit les échanger pour des biens ou activités. 

Ce système permet à tout un chacun d’avoir de quoi se nourrir, et la possibilité aux plus aisés de s’offrir des loisirs. Libre à tous de manger moins et s’acheter un livre, ou une denrée alimentaire rare. 

Les rations permettent de survivre, mais ce n’est pas un repas qu’on pourrait appeler “gastronomique”. Alors nombreux sont ceux qui se permettent le luxe d’un repas hebdomadaire voire quotidien avec des denrées exceptionnelles. Leur achat est limité car les plantations artificielles de la Lune et les imitations chimiques de certains aliments restent rares. Une réglementation existe quant à l’utilisation des rations et ce qu’elles vous permettent d’acheter. 

Pour éviter que quelqu’un ne meurt de faim par des choix de dépenses irrationnelles, on n’a pas le droit de dépenser plus d’un certain pourcentage de sa dose par mois. Une “carte citoyenne” – espèce d’équivalent de la carte d’identité – permet de traquer cela. 

Tout un système économique simplifié a été développée par les autorités lunaires, en essayant de tirer les leçons des erreurs du passé. Et ce système fonctionne relativement bien. 

L’économie lunaire ne comporte pas de bourses, de spéculations, d’analyses de marché… un système simple et simplifié, pour éviter des facteurs de déséquilibre inutiles. Nos amis terriens apprécient beaucoup ce fonctionnement – pour eux, cela reste une des rares améliorations par rapport à la Terre. Les arbres, les fleurs, la famille, les animaux, les populations… tout leur manque. Mais pas le système économique qui leur en a fait voir de toutes les couleurs. 

Bien entendu, on peut légitimement se poser la question : est-ce que le système lunaire fonctionne parce qu’il est tel – c’est à dire lunaire et donc avec une population réduite ? Est-ce qu’il fonctionnerait à grande échelle ? Une question à laquelle nous n’avons pas de réponse aujourd’hui…

LA RESIDENCE

Quand Rilko posa le pied sur la Lune la première fois, seul le désespoir l’accompagnait. Il ne savait même pas pourquoi il s’était sauvé. Il avait tout perdu. Seul le hasard l’avait amené sur cette terre désolée. 

Le gouvernement de la colonie mit en place une cellule psychologique pour les 10 000 rescapés de la Terre. Cela doublait la population, et les mettait face à une situation critique à gérer. Heureusement, comme le plan était d’attirer du monde dans les années à venir, il existait plusieurs immeubles vacants ou en construction. 

Assez rapidement, chacun trouva un lieu où vivre temporairement. Mais il fallut penser à trouver un travail pour subvenir à ses besoins, et payer le logement – qui ne serait pas gratuit pour toujours. 

Après deux mois de dépression intense, Rilko parcourait les couloirs de son immeuble. Les appartements étaient vides pour la plupart. Les immeubles avaient rapidement été construits, notamment à l’aide des derniers arrivés : cela permettait de se plonger dans un travail répétitif, manuel, et empêchait le cerveau de penser continuellement à la Catastrophe. 

En voyant ces pièces vides, en portant le poids de son malheur, Rilko se dit qu’il lui fallait rapidement trouver une occupation ou il deviendrait fou. C’était d’ailleurs l’avis de son conseiller psychologique. 

C’est alors que l’idée de la Résidence lui vint à l’esprit : pourquoi ne pas créer un endroit sécurisé pour les personnes comme lui, perdus sur cet astre, sans but, sans moyen, sans famille ? 

Le concept était né. Un mois plus tard, son projet était accepté, un mois encore après, il accueillait le premier résident. Ou “locataire”, comme il aimait les appeler. 

Rapidement, tous les appartement trouvèrent preneurs. Et la vie de Rilko s’améliora un peu, avec la satisfaction d’aider les autres. Sa douleur s’atténua peu, mais s’atténua tout de même. Ses souvenirs toujours aussi vivides lui venaient un peu moins en mémoire. Ses cauchemars se firent moins violents. 

Lorsqu’il rencontra Malina pour la première fois, son état était quelque peu stabilisé. Mais le traumatisme vécu ne s’effaça pas. Il ne s’effacerait jamais vraiment. Comment cela pourrait-il en être autrement ? Comment oublier les images de sa famille, ses amis, sa maison, sa planète, partir en fumée ? 

C’est de cette façon que la colonie lunaire devint le seul espoir de survie de la population humaine et le terreau de tant de maladies psychologiques liées au stress post-traumatique…

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