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Le Grand Incendie 8/97 min de lecture

[Je vous propose un récit en plusieurs parties. Une fois par semaine, je vais publier une partie de cette longue nouvelle. La huitième partie ci-dessous…]

La Lune, an 4 du nouveau régime

LES SCIENTIFIQUES

Les quelques scientifiques qualifiés vivant sur la Lune passaient leurs jours et nuits à penser au meilleur moyen d’étudier l’atmosphère terrestre, afin de savoir lorsqu’ils pourraient rejoindre leur sol natal. Cela tournait à l’obsession. Cela traduisait leur seule manière relativement saine de gérer leur traumatisme. Plongés dans leurs travaux, ils oubliaient leur misère tout en y faisant face de front. 

Certains avaient abandonné les recherches au bout de deux ans, faisant le deuil de leur planète. Pour eux, de leur vivant, il ne serait pas possible de remettre les pieds sur Terre.

Mais d’autres s’acharnaient. Ils refusaient de s’avouer vaincus. Ils arriveraient à trouver un moyen. A minima, ils détermineraient la date potentielle à laquelle on pourrait retourner sur place. Mais, tant qu’ils n’avaient pas de réponse, ils ne renonçaient pas. 

Olivia faisait partie de ceux qui avaient laissé tomber. Les recherches la rendaient folles et, après concertation avec son conseiller psychologique, elle décida qu’il serait mieux pour elle d’en rester là. Mais il en résultait qu’elle n’aurait plus de sources de revenus. C’est ainsi que Rilko l’avait accueilli dans la Résidence. 

Combien de temps les recherches prendraient-elles ? Personne ne le savait. Malina en avait entendu parler, car elle avait conduit certains de ces scientifiques. Une once d’espoir avait réapparu dans son coeur, mais elle ne voulait pas se faire trop d’illusions. Alors, de temps en temps, lorsqu’il se trouvait qu’elle conduisait un des participants aux recherches, elle tentait de se renseigner, de façon décontractée, et avait vite compris que le tout était bien compliqué, et que les scientifiques n’étaient pas prêts de trouver une solution. L’espoir les faisait tenir, mais il semblait que c’était tout. Rien de concret.

Ils n’avaient pas encore réussi à construire une sonde viable qui puisse aller prendre des mesures dans l’atmosphère : les ressources sur la Lune étaient très limitées. Sur Terre, la chose fut facile, mais ici, il leur manquait de nombreux matériaux. Le défi était de taille. Mais l’homme a une force insoupçonnée lorsqu’il tient un objectif et qu’il ne veut pas y renoncer.

Quant à Olivia, elle avait décidé de préserver avant tout sa santé mentale. De temps en temps, elle retrouvait le groupe avec lequel elle avait travaillé. Mais elle leur avait demandé d’éviter d’aborder le sujet des recherches. Pour elle, le poids de l’espoir serait trop lourd. 

MA VIE SUR TERRE

Plongée dans l’analyse de ses résultats, elle n’entendit pas l’homme qui s’approchait d’elle. Elle sentit sa présence alors que sa main l’effleura. Elle sursauta.

  • Tu m’as fait peur !
  • Tu es trop concentrée. Tu as encore loupé le déjeuner, ajouta-t-il en lui tendant un sac contenant un sandwich et une boisson.
  • Tu n’aurais pas dû, se radoucit-elle. 

Elle se rendit compte qu’elle était affamée. Elle ouvrit le sac et commença à dévorer le sandwich.

  • Il faut croire que je devais, finalement, dit-il en riant.
  • Oui ! Merci beaucoup. J’avançais tellement bien… dit-elle entre deux bouchées.

La suite de son discours fut inintelligible, car ponctué de bruits de mâchage. Il la regardait, avec admiration. Cette fille est brillante, se disait-il intérieurement. Elle prendra forcément la tête du département d’ici quelques années. 

Lorsqu’Olivia eut fini son repas, elle lui montra les avancées de ses recherches, effectivement très prometteuses. 

Il l’attendait depuis dix minutes, et commençait à paniquer. Et si elle lui avait posé un lapin ? Il lui avait fallu trois mois pour trouver le courage de lui proposer un rendez-vous, et maintenant qu’elle avait accepté, il s’était fait tout un film. Mais si elle n’avait juste pas osé lui dire non ? Alors qu’il se disait qu’il était le dernier des imbéciles, elle parut à la porte du restaurant. Il se leva, presque d’un bond, et failli renverser la carafe d’eau sur la table. Elle s’approcha, radieuse. 

  • Désolée pour le retard, j’ai eu du mal à trouver une place.
  • Aucun souci, dit-il, ravi de la voir. 

Ils échangèrent quelques banalités puis commandèrent leur repas.

  • Tu connaissais déjà l’endroit ? Il est très sympa.
  • Non, un ami me l’a recommandé. 
  • Je suis contente que tu m’aies proposé ce rendez-vous.

Il ne sut que répondre.

  • Je n’osais pas te le proposer, et tu m’as devancée !
  • Tu… tu voulais qu’on sorte ensemble ?

Elle ria.

  • Magda a raison, tu es vraiment aveugle.

Puis ils échangèrent sur leur timidité et les façons subtiles par lesquelles elle avait tenté de lui faire comprendre son intérêt – et les manières dont il essayait au contraire de cacher le sien. 

Yvgy le savait, il avait en face de lui la femme de sa vie.

  • A table !

Il venait de finir de préparer le repas. Comme tous les soirs, tout était parfait. Les enfants s’installèrent, puis leur mère arriva. Elle l’embrassa puis s’installa.

  • Que nous as-tu donc concocté de bon ce soir ?
  • Rien de bien original, un gratin de pâtes. Il faut que je fasse les courses.
  • Je suis sûre que ce sera délicieux, comme toujours.
  • Tu as quelque chose à me demander ? dit-il en riant.

Puis l’aîné fit le service. Chacun participait à la vie du foyer. Il était essentiel pour lui que chacun apporte sa pierre à l’édifice, se sente utile, et apprenne non seulement à entretenir une maison mais aussi à vivre en communauté. Sa famille était son bien le plus précieux. Grâce à elle, il était un homme comblé. 

  • Tu as eu ta mère ? 
  • Oui, ça ne va pas fort. Les pronostics des médecins ne sont pas bons.
  • Qu’est-ce qu’elle a mamie ?
  • Elle est malade, ma chérie. Les médecins prennent soin d’elle, mais ce n’est pas facile à traiter.
  • On pourra aller la voir ce week-end ?
  • Bien sûr, ça lui fera très plaisir.

Rilko savait que c’était le cycle de la vie. Sa mère était vieille. Mais la douleur n’en serait pas moins difficile à supporter. Il ne saurait comment il pourrait surmonter cette épreuve sans sa famille.

La cloche sonna. L’heure de rentrer. Elle n’avait pas très envie de retrouver le petit appartement. Taira était gentille, mais elle n’avait pas vraiment idée de ce qu’une enfant de onze ans a besoin. Il est étrange de se dire que nous sommes tous passés par les mêmes âges et, pourtant, certains semblent avoir oublié ce que cela signifie. 

Au moins, à l’école, les professeurs connaissaient les besoins des adolescents. Elle restait cependant polie et discrète, car elle savait la chance qu’elle avait de ne pas être en foyer pour orphelins. Taira avait accepté de l’accueillir chez elle, et sa vie en serait forcément améliorée. 

  • A demain !
  • A demain.

Elle marcha tranquillement jusqu’à l’appartement, observant les autres enfants. Chacun d’entre eux semblait vivre la vie parfaite, avec des parents aimants et attentionnés. Elle n’était pas jalouse, ce n’était pas son genre. Elle ne comprenait juste pas. Elle ne ressentait pas le besoin d’affection ou d’amour, juste de liberté.

Elle ne comprenait pas toujours ses camarades, leurs émotions, leurs sentiments. Elle connaissait ces mots, mais elle ne pouvait les appréhender. Comme s’il lui manquait une part d’humanité. Elle cachait ce “défaut”, de peur qu’on la stigmatise. Mais elle savait bien que, à l’intérieur, quelque chose était différent. 

Malina ne comprit que bien plus tard ce qu’était cette différence.

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