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Le Grand Incendie 9/910 min de lecture

[Je vous propose un récit en plusieurs parties. Une fois par semaine, je vais publier une partie de cette longue nouvelle. La dernière partie ci-dessous…]

NOS AMITIES

  • Tu as vraiment fait ça ?
  • Oui, mais il faut croire que c’était une erreur.

Rilko racontait à Malina comment il avait échappé aux flammes sur Terre. Il avait tenté de mettre sa famille à l’abri, mais le vaisseau dans lequel ils étaient n’avait jamais atteint sa destination. Il ne savait pas ce qui leur était arrivé. Il avait passé deux mois à faire quatre fois le tour de la colonie lunaire dans l’espoir de les retrouver, en vain. De son côté, il avait été sauvé par un vaisseau de passage qui l’avait retrouvé, seul, entouré de flammes.

  • J’étais au travail, je me suis arrangé pour leur trouver un vaisseau. Comme je te le disais, j’ai proposé à un voisin célibataire de se faire passer pour le père, afin qu’il soit sûr de monter à bord. Le deal, il jouait de sa position politique – il avait une carte de parti – pour leur trouver une place, et moi je me débrouillais. J’étais sûr que je me sacrifiais pour eux…

C’était la première fois que Rilko racontait cette histoire, volontairement. La seule fois où il l’avait dite auparavant fut à son arrivée, lors de la rencontre obligatoire avec un psychologue. Tout le monde devait expliquer comment il avait réussi à s’échapper, qu’elle avait été son expérience, afin de déterminer la gravité du traumatisme. Mais, après cela, il avait voulu enterrer ce souvenir. Il l’expliqua à Malina.

  • Pourquoi me le raconter alors ? 
  • Parce que, j’ai honte de l’admettre, tu es la première personne que je peux considérer comme une véritable amie depuis mon arrivée sur ce sol maudit. 

Malina ne comprenait pas. Elle répondit franchement, comme elle le faisait toujours. Sans arrière-pensée, sans méchanceté.

  • Tu me considères comme une amie ? Comment cela ?
  • Nous nous voyons régulièrement. Pas que pour le travail, ajouta-t-il avant qu’elle ne puisse l’interrompre. Nous prenons le temps de nous poser autour d’un verre pour discuter. Nous partageons nos expériences, nos ressentis, notre histoire. Tout cela parce que nous le voulons bien, parce que nous apprécions la présence de l’autre, pas parce que nous y sommes forcés. 

Malina réfléchit.

  • Je vois. Dans ce cas-là, tu es également mon seul ami. 
  • Sur ce satellite.
  • Non, dans l’ensemble. Je n’ai jamais eu personne à qui confier des choses personnelles. Je n’ai jamais ressenti le besoin d’une relation de ce genre. Avec les hommes, ça restait soit professionnel soit physique. Avec les femmes, surtout professionnel. Je ne suis pas du genre à m’attacher. J’avais bien entendu des relations sociales, des gens avec qui tu sors t’amuser, et des relations de travail, ce genre de choses. Mais pas ce que tu appelles un ami. Je ne m’en suis pas rendue compte jusque là, mais je t’ai dit des choses que je n’avais jamais raconté à personne auparavant. 

Rilko leva son verre.

  • A l’amitié !

Et ils trinquèrent.

  • Tu dois absolument le lire !

Yvgy essayait de convaincre Olivia de lire le dernier livre dont il avait fait l’acquisition.

  • Tu sais bien que je ne suis pas fan des histoires à l’eau de rose.
  • Mais c’est bien plus que ça, je t’assure !

Cela faisait maintenant deux ans qu’Olivia et Yvgy s’étaient rapprochés. Leur amitié était telle qu’ils n’osaient la pousser plus loin. Leur relation leur convenait, leur apportait énormément, et chacun avait peur d’avouer à l’autre ses sentiments, de peur de tout détruire. Sur la Lune, ils n’avaient pas grand monde. Ils ne pouvaient se permettre de risquer une telle amitié. Et, pourtant, la tentation était grande. 

  • Un peu de musique ?

Installés dans la chambre d’Olivia, ils discutaient souvent sur fond sonore. Parfois, ils s’allongeaient, observaient le plafond rêveusement en écoutant la mélodie. Jamais ils n’avaient cru qu’ils pourraient retrouver des instants de plénitude comme ceux-ci. Depuis la Catastrophe, seul le tourment les habitait. 

  • Sur Terre, j’avais un collègue avec qui je m’entendais extrêmement bien. Mon meilleur ami probablement. Je me demande ce qui lui est arrivé.

Olivia avait parlé sans réfléchir. Mais le ton de la musique lui avait fait penser à cet homme. Tout cela lui paraissait si lointain, comme un mauvais souvenir, jusqu’à ce que la réalité vienne la prendre à la gorge et l’étouffer. 

  • Il y a beaucoup de choses que nous ne saurons jamais.
  • J’ai participé aux premières recherches, ajouta-t-elle comme si elle ne l’avait pas entendu. Je crois que j’espérais l’y trouver. Mais il n’a pas dû réchapper à l’Incendie. Je l’aimais bien. J’aurais peut-être eu le courage de continuer les recherches avec lui. Mais c’était trop dur.

Yvgy écoutait avec attention. Ils avaient ce genre de moments : où ils avaient besoin de partager, l’un ou l’autre, des sentiments qu’ils n’avaient jamais avoué à personne. Ils se savaient dans un espace sécurisé, sans jugement, et ils pouvaient enfin exprimer toutes ces pensées qui tournaient dans leur tête depuis quatre ans. La confiance avait mis un peu de temps à s’installer, chacun se remettant doucement de son traumatisme. Mais, quand elle fut là, quelle libération !

  • J’espère qu’un jour quelqu’un trouvera des réponses à tout cela. En tant que scientifique, le plus dur pour moi est de rester sans réponse aucune. Avec cette énigme, ce problème insoluble. Je serais devenue folle dans un laboratoire ici. 
  • Je comprends. Tu as bien fait de te préserver.
  • Mais n’était-ce pas égoïste ? Et si j’avais pu aider ? 
  • Les “si” ne servent à rien. Tu as pris la décision qui te convenait à l’instant T. Il ne sert à rien de te poser ces questions. As-tu envie aujourd’hui de reprendre les recherches ?

Elle resta silencieuse quelques instants.

  • Non. Tu as raison. Ce n’est pas en plongeant dans la folie que j’aurais pu être utile.

Ils retombèrent dans un silence paisible. Olivia se sentait mieux, plus légère. C’était la première fois qu’elle avouait ses doutes, et ils venaient de s’envoler, comme par magie, après trois ans de ruminations. 

PAYSAGES LUNAIRES

La désolation.

S’il avait fallu résumer en un mot les paysages lunaires, celui-ci serait le plus adapté. 

Chaque nouvel arrivant sur la Lune avait à peu près la même réaction : un sentiment de sérénité puis la panique face à cette immensité vide. 

La description du paysage ne nécessite pas beaucoup de détails : des cratères et de la poussière à perte de vue. La couleur : grisâtre. Le ressenti : froid. 

Que ce soit Malina, Rilko, Olivia ou Yvgy, leur arrivée sur la Lune eut l’effet d’un choc : non seulement venaient-ils d’observer leur planète devenir cendres mais voilà qu’ils arrivaient dans un lieu qui semblait composé de cendres. Rien de réconfortant là-dedans.

Et à quoi ressemble la colonie lunaire ? 

Des constructions sommaires, blanches. Des immeubles pragmatiques, pour gagner en place. Seule une partie de la Lune avait été aménagée de sorte à créer une atmosphère viable, sans besoin de combinaison. Il fallait donc optimiser l’espace. 

Lorsque la vague de Terriens arriva, des artistes décidèrent d’égayer le tout. Avec le peu de matériaux disponibles, ils avaient créé quelques pots de peinture improvisés pour pouvoir mettre un peu de couleur sur cette terre grise. 

Voilà où vivent les derniers humains, pensa Rilko. Dans une ville morne et sans âme, à l’encontre de notre nature battante. Comme si l’on voulait mettre fin à toute possibilité de bonheur. Comme si nous étions voués à devenir des robots, nous aussi sans âme…

CECI N’EST (PEUT-ÊTRE) PAS LA FIN

  • Qu’est-ce qu’on fait, au juste ? 
  • Comment ça ?
  • Qu’est-ce qu’on fait sur la Lune ? Qu’attend-on de la vie ici ? 
  • Pas grand chose, je crois. Pour ma part, je survis. Mais c’était déjà le cas sur la Terre. 
  • Tu ne vas pas me dire que tu n’avais pas de loisirs, de moments de bonheur… ?
  • Toutes les semaines, je faisais une randonnée en montagne. Et tous les ans, je m’offrais un beau voyage. J’ai toujours été fascinée par la nature, le calme, les grands espaces. Je n’avais pas beaucoup d’interactions avec les autres, mais, oui, tu as raison, j’avais quelques plaisirs. D’autres raisons de survivre. Voire de vivre. Mais pourquoi cette question ? 
  • Je fatigue de vivoter. Bien sûr, je suis content de pouvoir venir en aide à quelques personnes ici, mais ma vie ne peut pas se résumer à cet immeuble. J’ai besoin de retrouver ce qui m’épanouissait. Nous ne sommes pas faits pour vivre ici. Tu le vois bien. Regarde les visages des gens : ont-ils l’air heureux ? Ont -ils l’air de vivre ? 

Malina resta silencieuse. Elle laissait Rilko parlait, l’écoutant avec attention. Elle savait qu’il avait une idée derrière la tête.

  • Ce que j’essaye de dire, c’est que je n’ai plus grand chose à perdre. L’Incendie m’a tout arraché, et ne m’a laissé qu’une part de mon humanité et mon instinct de survie. Le reste, envolé ! En fumée, littéralement. 
  • Alors, tu proposes quoi ? Une mission suicide ? 
  • Non. Je me dois à ceux qui n’ont pas survécu de traiter ma vie comme un bien précieux.

Malina comprit.

  • On pourra en reparler lorsqu’on sera vieux. 

Rilko fut surpris.

  • Reparler de ? 
  • Je suis d’accord avec toi, une vie sur cette Lune n’en est pas réellement une, et si je dois tenter le tout pour le tout, ce ne sera avec personne d’autre. Alors, quand on sera vieux, on pourra aller mourir sur notre bonne vieille Terre. En attendant, on peut toujours enfreindre la loi et aller l’observer de plus près.

Il sourit. Il n’avait pas prévu cela.

  • Alors, on part quand ? 

Et, pour la première fois depuis qu’ils se connaissaient, il vit une étincelle dans ses yeux. 

Cinq jours plus tard, Malina et Rilko se retrouvèrent au beau milieu de la nuit. On aurait cru deux amants s’enfuyant de la maison de leurs parents, désapprobateur de leur liaison. 

Ils chuchotèrent puis s’engouffrèrent dans le vaisseau de Malina.

  • Prêt ? 
  • Prêt.

Elle ferma le sas et manipula le tableau de bord. Le vaisseau décolla, aussi silencieusement qu’un vaisseau peut le faire. Puis, il s’envola au-dessus de la colonie. Au bout de quelques minutes, comme ils l’avaient prévu, une demande de communication arriva au vaisseau. Malina refusa d’entrer en contact. Alors, une transmission automatique se manifesta :

  • Vous êtes en train de quitter la zone autorisée de la colonie lunaire. Veuillez faire demi-tour, sous peine d’être sanctionné. 

Malina coupa le message. 

  • Plus rien à perdre, n’est-ce pas ?

Rilko répondit par un sourire.

Et, ainsi, ils se dirigèrent tous deux vers leur bonne vieille Terre, dans le but de l’observer de plus près, comme un homme endormi, en plein rêve, qui tend les mains vers un mirage qui lui échappe.

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