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LE GRAND INCENDIE – 1/99 min de lecture

[Nouveau ! Je vous propose un récit en plusieurs parties. Une fois par semaine, je vais publier une partie de cette longue nouvelle. Découvrez aujourd’hui le début du premier chapitre…]

Tout bascula ce jour-là. Quel jour me direz-vous ? Celui où la Terre se mit à brûler.

Depuis son vaisseau, elle observait les flammes dévorer son ancienne maison. Elle restait de marbre face à la catastrophe. 

L’impuissance qu’il ressentait le prenait à la gorge. Il retint les larmes qui se formaient au bord de ses yeux.

C’était la fin. Et lui ne savait prendre le recul qu’elle montrait.

La Lune, an 2 du nouveau régime

Déjà deux ans que la Terre avait sombré dans les flammes. Le peu de l’humanité qui en avait réchappé se trouvait sur la Lune. Dans l’attente d’un foyer plus adapté, ils avaient réussi à créer une colonie viable. La population se comptait en milliers. Le nombre de vaisseaux disponibles étant limité, seuls les plus malins avaient réussi à trouver une place pour échapper à la catastrophe. 

Qu’est-ce que la rage ? Ce sentiment violent qui dépasse la colère. 

Qu’est-ce que le désespoir ? Ce sentiment pesant au-delà de la tristesse.

Qu’est-ce que l’épuisement ? Ce sentiment décuplé de fatigue.

En tant qu’être humain, nous vivons au travers de nos sentiments. Ils nous définissent. Notre capacité de penser, notre capacité de ressentir, voilà ce qui fait de nous des humains.

Mais il manquait cette seconde capacité à Malina. Le vide la remplissait. Le calcul froid, elle connaissait. La logique, elle maîtrisait. Mais ressentir, elle ne savait pas ce que cela signifiait.

Elle s’était toujours senti en décalage vis-à-vis des autres. Comme s’il lui manquait une part d’humanité. Et pour cause. 

Leur rencontre fut à la fois aléatoire et calculée. Lorsque l’on regarde tous les événements qui ont mené à ce moment fatidique, on se dit que le hasard fait bien les choses, et les calcule.

LA RENCONTRE

Elle ne savait pas ce que signifiait être hypersensible. Le mot même semblait improbable.

Elle avait toujours eu la maîtrise complète de ses émotions. Ou, pour ainsi dire, elle ne savait pas réellement ce qu’était une émotion. Sa vie était calculée, mesurée, pensée. Elle ne laissait quasiment rien au hasard. Elle s’adaptait. 

Le jour où ils se rencontrèrent, l’incompréhension s’installa immédiatement entre eux deux.

Malina et Rilko. 

Elle transportait êtres vivants et marchandises à bord de son vaisseau, il venait en aide aux personnes dans le besoin. 

Elle posa son vaisseau près de la Résidence, un abri pour SSF – sans salaire fixe, ces personnes qui n’étaient jamais sûrs de pouvoir payer un loyer à la fin du mois mais avaient besoin d’un logement. Le principe du foyer se comprenait facilement : chacun apportait sa contribution contre un toit pour dormir. Malina ne connaissait pas l’existence d’une telle structure, la seule de la colonie.

Sa venue était totalement fortuite : elle venait faire le plein. 

Il se trouvait devant l’abri, en train d’écouter quelqu’un qui souhaitait loger là. Ils essayaient de trouver une solution qui puissent convenir à tout le monde.

Malina écoutait la conversation d’une oreille distraite, se demandant pourquoi Rilko écoutait cet homme qui, clairement, ne pourrait pas payer. 

L’homme commença à hausser le ton : il exprimait simplement son désespoir, mais Malina crut qu’il allait agresser le jeune homme. 

Ce n’était pas dans ses habitudes que de se mêler d’histoires qui ne la regardaient pas, mais elle n’avait pas intérêt à ce que la police se pointe : sa marchandise du moment ne correspondait pas tout à fait aux législations en vigueur. 

  • Un problème ? dit-elle en s’approchant.
  • Aucun, répondit Rilko. 
  • Cet homme a l’air de vous importuner.
  • Non, non, je souhaite juste trouver un toit, mais je suis blessé à la jambe et ne peux me rendre très utile, expliqua l’homme, suppliant.
  • Nous trouverons quelque chose, dit Rilko, vous participerez aux tâches d’entretien que vous pourrez. Je ne vais pas vous laisser dehors.
  • Merci, merci, répondit-il en lui prenant les mains.

Alors qu’il entrait dans le bâtiment, soulevant difficilement son baluchon, Malina se tourna vers Rilko, le regard interrogateur.

  • Pourquoi ?
  • Comment ça ? dit Rilko, surpris.
  • Pourquoi acceptez-vous cet homme, s’il ne peut vous être utile.
  • Nous sommes là pour aider les gens, pas pour faire du profit. Ils apportent leur aide comme ils le peuvent. 
  • Je ne comprends pas.
  • Ca s’appelle de l’empathie, expliqua Rilko, éberlué.
  • De l’empathie, répéta-t-elle.

Sans un mot de plus, elle repartit vers son vaisseau.

LE FEU

Il observait la sphère terrestre. A chaque fois lui revenaient en mémoire l’image des flammes envahissant son quartier. Il se revoyait, collé à la vitre du vaisseau, le paysage flouté par les larmes coulant sur son visage, encaissant le fait qu’il ne reverrait probablement plus jamais sa terre natale. 

Cette image du feu le hantait. Il avait développé une phobie à tout ce qui se rapprochait de la chaleur. Sur la Lune, c’était plutôt un avantage. Même s’ils vivaient dans des bâtiments chauffés et ne sortaient quasiment pas à l’extérieur, les températures restaient relativement basses, pour économiser un maximum d’énergie. 

Les villes artificielles avaient été construites sur un modèle le plus écologique possible, afin de ne pas répéter les erreurs du passé. 

Rilko faisait partie de ces traumatisés de la Fuite. Plus jamais il ne serait le même. Pour lui existaient un avant et un après. Comme si une part de lui avait succombé aux flammes. 

Et Malina ? Elle fut anesthésiée dès son enfance. Après avoir subi un traumatisme majeur à l’âge de trois ans, elle n’avait plus jamais rien ressenti. A trente ans d’écart, ils avaient plus ou moins subi la même chose. Sauf qu’un enfant de trois ans et un adulte de trente-trois ne réagissent pas de la même manière, forcément. 

Malina avait donc vécu sa vie sur Terre de façon non pas tranquille mais dénuée de drame – si l’on ne compte pas celui de son enfance. 

Lorsque sa ville prit feu, elle ne se posa pas de questions. Elle prit ses quelques biens, son vaisseau, et se dirigea vers la colonie lunaire. Elle savait bien que ce jour viendrait. Etonnamment, elle attendit le dernier moment pour quitter son domicile. Comme si quelque chose la retenait : c’est cette Terre qui avait fait d’elle qui elle était. Elle ne pouvait le nier. Une certaine attraction demeurait donc. Et lorsqu’elle observait sa planète depuis la Lune, quelque chose se passait dans ses tripes. Comme un relent des sentiments qu’elle avait pu ressentir jusqu’à ses trois ans. Quelque chose de vague, mais de présent, de réel. Cela la perturbait et elle chassait du revers de la main cette sensation, qui ne durait qu’un quart de seconde. 

Contrairement à Rilko, le feu la fascinait. Et la froideur de la Lune ne semblait pas faite pour elle, alors qu’elle-même semblait glaciale face à toute situation. 

***

Je ne vous apprends rien : dans l’épreuve, et surtout dans l’épreuve, nous apprenons qui sont nos vrais amis et proches. Ceux qui s’inquiètent pour nous, ceux qui sont présents pour nous, ceux qui pensent à nous.

Dans des temps aussi difficiles que le Grand Incendie, chacun a trouvé ses vrais proches. Et beaucoup se sont retrouvés seuls. Car l’égoïsme – dérivé de l’instinct de survie – a malheureusement pris le dessus dans de nombreux cas. 

Des personnes comme Rilko, il en existe peu. Des altruistes, des empathiques. La plupart ont sacrifié leur vie pour la survie des êtres aimés. Et peu de ces êtres aimés ont réellement survécu. 

Malina n’avait personne. Le choix ne fut donc pas difficile. Mais elle ne partit pas seule dans son grand vaisseau : elle laissa monter le maximum de gens possible. Par devoir, et par pragmatisme. Elle savait que pour survivre dans la Colonie, il lui faudrait 1/ des personnes capables de la payer 2/ une réputation. Et elle se doutait que les femmes et hommes qu’elle transporterait lui seraient redevables. 

L’instinct de survie avait pris le dessus, mais d’une façon bien plus pragmatique que beaucoup. 

***

De nombreuses denrées n’étaient plus disponibles sur la Lune. Malgré les technologies de pointe qui avaient permis de reproduire des atmosphères artificielles pour faire pousser certaines plantes, les aliments disponibles restaient limités. 

Rilko se surprenait parfois à rêver un de ces grands repas qu’il partageait avec sa famille étant enfant. De grandes tablées où la nourriture surabondait. 

Il se rappelait de ces moments avec nostalgie. Au départ, il pensait à la nourriture qui lui manquait. Puis lui revenaient en mémoire les images des membres de sa famille qui n’avait pu fuir le Grand Incendie. 

Alors les larmes lui montaient aux yeux et il s’en allait dans son jardin secret : littéralement, un jardin secret. Une petite pièce de 2m² qu’il avait rempli de plantes. Des graines qu’il avait retrouvé dans ses affaires, et qu’il avait fait germé avec le plus grand soin. S’occuper de ses plantes lui permettait de rentrer dans un état méditatif, de le calmer, de le ramener à l’instant et d’oublier les douleurs du passé.

Rilko supportait sa vie sur la Lune, il la tolérait, et il y trouvait parfois de la satisfaction. Mais son bonheur, il l’avait laissé sur Terre.

***

Mais, me direz-vous, vers où se dirige cette histoire ?

Tout simplement, elle explique la vie de nos deux héros, Malina et Rilko, et leurs péripéties après la grande catastrophe qui a ravagé la Terre. 

Nos amis ont tous deux lutté pour survivre, à leur manière. Bienvenue sur la Lune, l’unique colonie humaine toujours existante. Du moins, à notre connaissance…

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