Réflexions

JUIN – Chapitre 6 : Existe-t-il une écriture genrée ?6 min de lecture

Ce n’est pas un sujet nouveau : l’écriture peut-elle être féminine ou masculine ? Je pense que je n’en étais pas persuadée jusqu’à récemment.

Il faut être honnête. Avant de me plonger dans le sujet des inégalités homme/femme, je ne me posais pas forcément ce genre de questions. Plus jeune, je ressentais bien la différence de traitement, mais c’était normal, le schéma de la société et pas autrement. Avec le temps, j’ai lu des articles, assisté à des conférences, regardé des vidéos… et je me suis rendue compte que, non, ce n’était pas normal mais une construction sociétale, qui plus est assez récente. Mais je suis restée au traitement général des femmes, dans la vie de tous les jours. 

Plus récemment, j’ai lu, écouté, regardé de nouvelles choses – notamment par rapport à l’écriture inclusive – et je me suis rendue compte que le biais allait jusque dans la langue, dans les règles de grammaire. En poussant plus loin, je me suis rendue compte que je lisais beaucoup d’auteurs et peu d’auteures. J’ai voulu combler ce trou, mais j’ai du mal, parce que je me laisse transporter vers le même type d’auteurs. Heureusement, j’adore les romans policiers et on trouve facilement des auteures. J’adore aussi la science-fiction, et pour le coup, les auteurs qui remontent sont principalement des hommes. 

La science-fiction : un genre masculin ?

En effet, depuis quelques semaines, je lis un livre qui m’a fait me poser la question du genre dans l’écriture. En soi, je n’ai pas de réponse toute faite, une conviction inébranlable selon laquelle je saurais dire si un livre est écrit par une femme ou un homme. En revanche, je reste persuadée que les perceptions de l’auteur sont lisibles et visibles. 

Dans ce livre, les personnages féminins sont secondaires. Le premier qui apparaît est déjà sexualisé à la page 29. Les autres femmes décrites sont vues par le prisme du physique. Le bouquin est excellent, écriture et rythme maîtrisés, intrigue captivante, réflexions philosophiques intéressantes… mais je ne peux m’empêcher d’être agacée par l’image de la femme qui y est rendue. Peut-être pour dénoncer la société dystopienne du livre ? Et justement le fait que la femme soit uniquement objectivée sur son apparence ? C’est une possibilité. Et ce n’est probablement pas un auteur misogyne, mais juste un homme dans une société patriarcale où la femme est vue d’abord par le prisme de son physique, de son charme, de sa sexualité. 

J’adore les romans de science-fiction, mais on ne va pas se mentir, le héros est en général majoritairement un homme. Pourquoi ? Parce que c’est un homme qui écrit ? Peut-être est-ce aussi parce qu’on ne m’a jamais mis entre les mains un livre de science-fiction écrit par une femme, et que je n’ai moi-même jamais cherché. Est-ce parce que le public qui lit de la science-fiction est principalement masculin et que, pour répondre à ce public, on sexualise plus facilement les personnages féminins ? Mais, même dans ce cas, pourquoi un homme se sent-il obligé de sexualiser la femme ? 

A ce sujet, j’ai trouvé cet article : https://www.babelio.com/liste/5763/Science-Fiction-au-feminin

Et l’introduction est révélatrice : “Genre perçu comme essentiellement masculin”. Pourtant, comme le montre la liste qui suit, il existe beaucoup de livres de science-fiction écrits par des femmes qui ne sont, je le pense, pas de moindre qualité. On compte d’ailleurs parmi cette liste le fameux livre “La Servante écarlate”, grand succès littéraire de ces dernières années (et qui dénonce par ailleurs l’assujettissement des femmes, en tout cas certaines femmes, à leur simple rôle de procréatrice). Ma lecture en cours m’a réellement donné l’envie de lire des auteures de science-fiction et non plus que des auteurs. 

L’éducation littéraire

Quand j’ai passé mon bac – il y a fort fort longtemps – il n’y avait pas une écrivaine au programme. Pourtant, la langue française ne regorge-t-elle pas d’auteures de qualité ? 

La question se pose : pourquoi met-on toujours en avant principalement des écrivains ? Les choses commencent à changer, mais un peu tard à mon goût…

Cela va au-delà du genre : un auteur est influencé par ce qu’il pense. Lorsqu’on le lit, on peut lire en transparence certaines de ses pensées.

N’est-ce donc pas un cercle vicieux ? On lit principalement des œuvres d’hommes, qui ont une vision d’homme. Cela n’entretient-il pas la vision patriarcale du monde qui s’impose encore en 2022 ? 

Lorsqu’on se penche sur le sujet du féminisme et du patriarcat, on se rend compte à quel point toute cette vision du monde est ancrée dans chaque aspect de notre quotidien. Cela peut paraître futile, ridicule, secondaire, mais lorsqu’on sait que les femmes gagnent toujours en moyenne un salaire inférieur à environ 9% que celui des hommes, à compétences et expériences égales, la question ne paraît plus si minime. Mais je dérive…

L’écriture genrée, un problème ?

En soi, l’écriture genrée, si elle existe réellement, est-elle un vrai problème ? Il est normal que nous écrivions de notre point de vue. Homme, femme, habitant d’un certain pays, avec notre histoire nationale, familiale, personnelle… L’important est que notre lecture soit diversifiée pour nous permettre d’avoir conscience des différents points de vue. D’où l’importance d’inclure dans les programmes scolaires des auteurs variés, que ce soit du point de vue du genre ou de la nationalité, etc. 

Les simples règles d’écriture du français et notre langage nous influencent en ce sens. “Le masculin l’emporte sur le féminin”. Un collègue me disait : le problème, c’est le nom des genres dans la langue. Ce n’est pas faux : si on disait “le genre A l’emporte sur le genre B”, cela ne poserait plus le même souci ! La manière dont on nomme les choses a un impact sur la façon dont nous pensons, nous ne pouvons pas le nier. 

Le fait de cantonner certains jeux/métiers à un genre pose aussi un problème et frustre autant certaines femmes que certains hommes.

Si vous commencez à regarder le monde de ce point de vue-là, je vous assure que vous allez réévaluer pas mal de choses dans votre vie, votre entourage, votre quotidien.

L’importance des mots

Pour en revenir à l’écriture, je ne m’empêcherai pas d’apprécier un bon livre écrit par un homme, mais je commence à avoir plus conscience de l’importance du genre dans l’écriture. Moi-même écrivaine, à mon humble niveau, je sais que je mets mes tripes dans une fiction. Si c’est le cas pour tous les auteurs, alors bien entendu, leur vision du monde s’y transmet. Je pense que certains ne se rendent pas compte de leur possible influence sur le monde et de l’importance de bien peser ses mots, pas seulement dans leur beauté et dans leur sens pour l’histoire, mais dans leur sens tout court. 

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