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La tête dans les étoiles 3/310 min de lecture

Lorsque je me réveille, il est aux alentours de 10h. Je n’ai pas beaucoup dormi mais vu ma qualité de sommeil, quelques heures de plus n’auraient pas changé grand-chose. Je me sens assommée, mais je me tire du lit. Je veux me rendre à l’hôpital pour savoir ce qui s’est réellement passé. Le temps de prendre une nouvelle douche, cette fois pour me réveiller, de manger quelque chose sans grand appétit, et écrire sur le papier les derniers événements, je me donne un bon coup de pied au cul pour sortir de chez moi. Dans le métro, je regarde dans le vide, sans avoir eu même le courage de mettre mes écouteurs et la musique. Je suis mon chemin machinalement. La fatigue me rattrape et je m’endors. Je suis réveillée au terminus de la ligne par le contraste entre le brouhaha des gens et le silence qui s’installe à leur sortie. Heureusement, il n’y a que cinq stations entre le terminus et mon changement. Je reprends le métro en sens inverse et, cette fois, je me mets de la musique pour me maintenir alerte. 

Lorsque je pénètre dans la chambre de Jérémy, il est 13h30. Je voulais arriver pour l’ouverture des visites, c’est raté. 

  • Hey ! Mais c’est ma co-enquêtrice, fit-il avec un sourire, suivi d’une grimace.
  • Calme tes ardeurs, tu as quand même failli y passer, dit une voix provenant de la salle de bain. 
  • Tu exagères, mon pronostic vital n’a jamais été engagé.

Une jeune femme se tourne vers moi et s’avance pour me tendre la main.

  • Joyce, la petite amie, précise-t-elle, son accent britannique se précisant.
  • Alexandra, apparemment co-enquêtrice, réponds-je avec un sourire forcé. 
  • J’ai essayé de l’arrêter dans cette histoire, mais il est têtu. 
  • J’ai vu ça… 
  • Bon, quand vous aurez fini de parler de moi, je pourrais peut-être te raconter ce qu’il s’est passé, coupe Jérémy. J’imagine que c’est pour ça que tu es venue, non ? 
  • Pas seulement. Je voulais voir comment tu allais, même si j’ai été rassurée par les médecins hier soir.
  • Oui, ils m’ont dit que tu avais attendu, fit-il, l’air gêné. Merci. 
  • C’est la moindre des choses… J’étais inquiète. Ce qui peut paraître étrange vu qu’on se connaît depuis deux jours, ajouté-je avec un rire nerveux. 
  • Mais quels deux jours… dit-il, l’air lointain.

Un lourd silence se pose entre nous trois. Nous avons tous conscience que Jérémy, même s’il n’a pas eu des blessures fatales, n’est passé pas loin d’un état bien plus grave, voire pire…

  • Je vais aller chercher quelque chose à manger, tu veux quoi ? dit Joyce pour couper la tension.
  • La même chose que toi, chérie.

Elle l’embrasse sur le front puis s’en va en me jetant un clin d’œil. 

  • Comment tu te sens ?
  • J’ai l’impression d’avoir été passé à la moulinette… Mais, honnêtement, je me sens surtout chanceux. J’ai agi bêtement et impulsivement…
  • Je ne vais pas te contredire…
  • Alexandra, j’ai eu vraiment peur pour ma vie. Ce type est fou. 

Jérémy enchaîne sur son récit. Il explique avoir suivi sans réfléchir le type de la trappe. Lorsqu’il s’est trouvé face à lui, il s’est trouvé un peu bête : comment allait-il justifier sa présence ? Le type a alors foncé sur lui et ils se sont battus. La chance jouant pour lui, l’autre homme s’est cogné contre un coin du mur et s’est effondré. A ce moment-là, ses propres blessures l’ont rattrapé et il a perdu connaissance. Malgré sa désinvolture, on sent le poids de ce qui venait de se passer dans son regard. Il a tué un homme – accidentellement certes, et en légitime défense, mais il a mis fin à une vie. A cet instant, quelqu’un entre dans la pièce.

  • M. Darmin, comment allez-vous ?

Apparemment, cette enquêtrice est passée le matin même pour prendre la déposition de Jérémy, mais a été interrompue par les soins. Elle revient donc pour continuer.

  • J’ai connu mieux, fait-il, un éclair de tristesse passant dans son regard, contrastant avec un sourire franc. 
  • Je voulais vous rassurer sur un point. Nous avons les conclusions de l’autopsie. Votre agresseur n’est pas décédé de vos mains, mais avait une forte dose de drogue dans le sang. C’est probablement la combinaison de celle-ci et l’adrénaline qui ont eu raison de lui. 

Je n’ai jamais vu tel soulagement chez un homme. C’est comme s’il respirait après avoir été en apnée forcée toutes ces heures. 

  • Merci, dit-il dans un souffle.

L’enquêtrice me jette un regard discret.

  • Je vais vous laisser. Prends soin de toi, Jérémy.

Il me fait un petit signe de tête, je dis au revoir aux deux femmes et je m’en vais. Tout cela me semble bien surréaliste. Enfin, je vais pouvoir mettre cette histoire derrière moi. Même si le mystère demeure, il ne me reste plus rien à faire.

Les jours passent et le choc de l’affaire s’éloigne petit à petit. J’ai l’impression de repenser à un rêve et pas à un événement vécu. De temps en temps, le visage de Jérémy dans son lit d’hôpital ressurgit. Je n’ose pas l’appeler. Je me dis qu’il a encore plus besoin que moi de déconnecter de cette affaire. Il m’arrive de prendre mon téléphone, de commencer à écrire un message, puis de l’effacer. J’ai appelé une ou deux fois la police pour parler à l’enquêtrice et essayer d’en savoir plus. La fois où j’ai réussi à l’avoir, elle m’a répondu que l’enquête était encore en cours, elle ne peut donc pas me donner plus d’informations. Je comprends et je me sens bête d’avoir appelé, mais c’est plus fort que moi. J’ai beau me dire que tout cela est derrière moi, j’ai le sentiment d’inachevé qui s’empare de moi. 

Encore un fou. Ça faisait longtemps qu’elle n’avait pas croisé le chemin d’un psychopathe, même mort. Pas le genre à se foirer. L’enregistrement qu’ils avaient trouvé était perturbant. Elle avait dû s’accrocher pour aller jusqu’au bout. Un meurtre commis de sang-froid, avec un plaisir indéniable sur le visage du meurtrier. Elle serait toujours fascinée et dégoûtée par la capacité de certaines personnes à commettre le mal sans remords. L’enquête ne prendrait pas longtemps. Pour ce meurtre-ci en tout cas. Il l’avait commis et il se le repassait en boucle. En revanche, les autres… Ils arriveraient probablement à en rattacher certains à ce tueur, mais combien resteront dans l’ombre ? Combien de familles ne trouveront jamais la paix ? Il avait bien berné les médecins, on l’avait laissé reprendre le chemin de la liberté, malgré ses crimes connus. Il y en avait toujours qui vous filaient entre les doigts…

Deux mois après avoir vécu la nuit la plus improbable et la plus incroyable de ma vie, je reçois un appel inattendu. Jérémy, que je n’ai pas osé recontacter depuis, me téléphone. Il a réussi à avoir des informations sur l’enquête. 

  • Salut Alexandra ! Ca va ? Je suis désolé, j’aurais dû t’appeler avant, mais je crois que je n’étais pas prêt à me replonger dans tout ça…
  • Salut Jérémy ! J’ai hésité à appeler plusieurs fois aussi… On n’est pas très bon dans tout ça, il faut croire, fais-je avec un petit rire.
  • Écoute, l’enquêtrice m’a recontacté. Ils ont bouclé le dossier. Après avoir fouillé sa planque, ils ont retrouvé l’enregistrement d’un meurtre. Apparemment, le cri qu’on entendait toutes les semaines à la même heure, c’est un enregistrement que le type se mettait, du moins c’est ce qu’ils ont conclu, car il était un peu compliqué de lui demander confirmation… 

Il s’arrête, la voix cassée. Malgré les mots de l’enquêtrice, il porte encore la culpabilité de cette mort. J’aimerais lui expliquer qu’il n’y peut rien, mais je sais que ça ne changera rien. J’espère au fond de mois qu’il suit une thérapie… Du peu que j’ai vu de sa copine, j’imagine qu’elle a dû le pousser à le faire. 

  • Leur hypothèse c’est que tous les vendredis, il revivait son crime. En fait, le cri que tu as entendu, c’est le premier, le vrai. La jeune femme dont on a retrouvé le corps le lendemain, il l’a bel et bien assassinée. Ça ne peut être que ça, comment aurait-on entendu l’exact même cri à la même heure chaque semaine ? La police n’avait rien trouvé à cause de la trappe : qui irait chercher là ? Il avait un dossier psychiatrique assez épais… Il a disparu des radars plusieurs mois avant ce meurtre. Est-ce qu’il en a commis d’autres ? Ils pensent que oui et continuent leur recherche. Bref, je voulais que tu puisses avoir le fin mot de l’histoire, pour mettre définitivement tout ça derrière toi. Je sais que, moi, ça m’aide, ajoute-t-il après un court silence. 
  • Merci Jérémy. Ca aide, oui. J’ai essayé de me dire que c’était derrière moi, mais c’était toujours un peu là avec cette part de mystère restante… Je n’arrive toujours pas à croire qu’on ait fait ça…
  • Moi non plus, pour dire vrai. Joyce m’en veut à mort, je crois. Sous ses airs froids, elle est très inquiète pour moi… 
  • Ça peut se comprendre !
  • Je te propose qu’on se revoit dans d’autres circonstances, tu en penses quoi ?
  • Avec plaisir. 
  • Cool. Mais pas tout de suite, si ça te va. J’ai encore besoin de temps…
  • Pas de souci, je comprends. J’apprécie que tu m’aies appelée pour me dire tout ça.
  • Pas de quoi. Allé, à la prochaine ! Et reste tranquille, hein.

Sur ce, il raccroche. Je ne sais pas trop quoi en penser… Je n’arrive pas à savoir si on se reverra vraiment. Est-ce que notre rencontre est vouée à être si éphémère ? Après tout ce qu’on a vécu… Je me pose devant ma fenêtre ouverte et je ferme les yeux. Les rayons du soleil me réchauffent la peau. Mon coeur est lourd… Je rouvre les yeux et j’observe l’effervescence de la rue. Quelle est l’histoire de ces gens ? Où courent-ils ? Je soupire puis referme la fenêtre. C’est bientôt l’heure…

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