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L’heure du thé13 min de lecture

LE JOUR J – V1

Un beau jour de printemps, alors que tout me souriait, le drame se produisit.

Le soleil pointait à travers les arbres, ombrageant ma terrasse, pour atteindre la température parfaite. J’avais déplié la table, une chaise, et préparé mon thé. Depuis mon séjour en Angleterre, j’avais pris l’habitude de me faire un thé vers 17h, avec un gâteau ou un petit sandwich. Cela me permettait de tenir jusqu’au soir sans être obnubilé par la faim. 

Ce voyage n’avait pas eu que des effets positifs : en avait résulté la séparation avec ma copine de l’époque. Après trois ans de relation quasi parfaite, nous nous étions rendus compte que notre couple n’en était pas un. Nous restions très bons amis, mais la passion s’était envolée, et notre désir de vie commune avec. 

Ce jour-là, je regretterais amèrement de ne plus être avec elle. Non que nous ayons pris la mauvaise décision, mais elle m’aurait sûrement aidée à éviter la catastrophe. 

Qu’avais-je fait pour mériter ça ? Allez savoir… Ma vie est – ou plutôt était – tranquille : professeur de lettres à l’université de Toulouse, j’étais parti en Angleterre pendant six mois pour y donner des cours sur le romantisme. Mon anglais était assez bon pour l’utilisation que j’avais à en faire, et le niveau de français de mes élèves excellent, ce qui me permettait de donner mes cours quasiment exclusivement dans ma langue maternelle. 

Je vivais donc avec Virginie depuis deux ans lorsque je suis parti. Nous nous sommes dit que six mois passeraient vite, qu’elle viendrait me visiter souvent, que je rentrerais régulièrement. Mais au bout de deux mois, nous avons réalisé que l’autre ne nous manquait pas tant que cela, et que notre relation tenait plus de l’habitude que de l’amour. 

D’un côté, le fait que ce soit arrivé lorsque j’étais en Angleterre me permit de me remettre assez rapidement de la rupture : même si elle fut faite d’un commun accord, tirer un trait sur trois ans de relation avec la femme avec laquelle vous pensiez finir vos jours n’est pas évident. J’eus une relation quelque peu insignifiante avec une professeure anglaise, qui dura un mois, puis, lorsqu’il fut temps pour moi de rentrer, nous décidâmes d’en rester là, le tout n’étant pas très sérieux. Cette relation me permit de rentrer plus serein, d’affronter les premières retrouvailles avec Virginie de façon plus calme, et au bout de quelques mois, la vie reprit son cours – je me trouvai de nouvelles habitudes, je flirtai quelque peu, et je me sentis bientôt prêt à me lancer dans une nouvelle relation, lorsque je trouverai la bonne personne.

Mais ce 11 mai, le destin en décida autrement.

LE JOUR J – V2

Cela faisait un moment que l’idée trottait dans ma tête. Je ne supportais plus son visage, son air détaché, sa façon de dire bonjour. Ses six mois d’absence furent presque une bénédiction. Mais ils rendirent son retour d’autant plus difficile. J’eus espéré qu’il déménagerait, mais ce ne fut pas le cas. Il me fallait supporter sa présence encore et toujours.

J’avais songé à déménager moi-même, mais pourquoi devrais-je faire le sacrifice ? Depuis le temps que je vivais ici… Et le pire moment était celui des beaux jours. Dès qu’il commençait à faire beau, il avait cette nouvelle manie : se poser sur la terrasse à 17h, avec son thé, ses gâteaux et son livre. Quel type insupportable !

Et pourtant, je ne pouvais m’empêcher de l’observer, depuis ma fenêtre. D’observer ses gestes maniérés, tous presque calculés. Monsieur Parfait ne ratant jamais rien. 

Je ne saurais dire pourquoi il me tapait autant sur le système. Je n’avais pas besoin d’explications. Je n’en cherchais pas. Il n’était pas le premier, il ne serait sûrement pas le dernier. Alors, je l’observais. J’imaginais dans ma tête ce que je pourrais bien faire pour me débarrasser de ce sentiment. 

Ma vie n’était pas très palpitante. Mon travail consistait à gérer la situation financière d’une petite PME française. Le job payait correctement, mes horaires n’étaient pas insurmontables, et les collègues auxquels j’avais à faire assez discrets pour ne pas déclencher de désagréments. J’avais mes petites routines, plutôt solitaires. J’aime bien cuisiner, un passe-temps méticuleux qui me permettait de me concentrer sur ce que je faisais, et calmer mon esprit. J’aime également me plonger dans des casse-têtes, des énigmes. 

Ce jour-là, j’avais décidé que j’en finissais. Je ne pouvais plus supporter cette vision ridicule et ostentatoire. Sa vie n’était pas meilleure que la mienne, il n’avait pas à arborer ce sourire de vainqueur alors qu’il menait une routine ennuyante et banale. 

Le drame se déroula un beau jour de printemps, alors que le soleil aveuglant me protégeait de la vue de tous. 

EXPLICATIONS – V1

Alors, que s’était-il donc passé ? 

On avait tenté de m’assassiner, voilà tout. Enfin, ce n’est pas rien. Sur le coup, j’ai cru que c’était réellement la fin. Virginie. La première pensée qui m’est venue fut pour elle. Malgré tout, elle restait ma meilleure amie et la femme avec qui j’avais partagé tous mes secrets ces trois dernières années. Ma vie, mon quotidien, mes rêves, mes désespoirs. 

Pourquoi quelqu’un voudrait-il ma mort ? Avec ma vie loin d’être passionnante, tranquille, rangée, je croyais justement être au moins à l’abri de toute sorte de drame. Mais il faut croire que le destin en décide autrement. Peut-être justement que ma vie était trop tranquille et qu’il fut décidé qu’on devait la pimenter un peu. Avec ma mort, ça aurait été dommage… Avec une tentative d’assassinat, peut-être que cela fonctionnait. 

Alors que je buvais tranquillement mon thé, j’entendis un bruissement. Je crus que c’était le vent, dans les arbres, mais il n’y avait qu’une très légère brise. Cette réflexion me sauva la vie. Car, alors que je me tournais pour voir d’où venait le bruit, la balle se logea juste au-dessus du coeur, et non dedans, comme ça aurait dû être le cas. Le meurtrier, homme ou femme, savait viser, il n’y avait aucun doute là-dessus. 

Je chutais de ma chaise, et, le choc passé, l’instinct de survie et l’adrénaline prirent le dessus : j’essayais de ramper à l’intérieur, au cas où on essayerait de finir le travail. J’eus raison. Alors que mon torse touchait le sol de l’appartement, une de mes jambes reçut une autre balle. Me battant contre l’évanouissement, de peur de me vider de mon sang pendant un moment d’inconscience, j’attrapais mon téléphone, resté sur la table basse du salon, qui donnait sur la terrasse. Je tapais le numéro d’urgence, le 15, et j’essayais d’articuler du mieux possible pour expliquer ma situation. Puis, je tombais dans les vapes.

Je me réveillais trente minutes plus tard, dans une ambulance, entouré d’un médecin, d’un interne et d’un infirmier. Le médecin, une femme, me posa plusieurs questions. Je répondis avec difficultés, avant de retomber dans les vapes. Je me réveillais de nouveau, à l’hôpital, Virginie à mon chevet. Elle était encore mon contact pour les urgences. 

EXPLICATIONS – V2

Je vivais dans cet immeuble depuis maintenant dix ans. Je me demandais quotidiennement depuis deux mois : pourquoi n’était-ce pas sa bonne femme qui était restée ? Elle ne me dérangeait pas. Ils avaient emménagé tous les deux, deux ans et quelques plus tôt. Au bout d’un an, mon aversion pour cet homme démarra. Ce fut d’abord la façon avec laquelle il me disait bonjour. Puis son comportement avec sa copine. Tous les petits aspects tranquilles de sa personnalité me poussaient à bout.

Ce n’était pas le premier, oh non. Trois personnes avant lui m’avaient fait le même effet : un homme qui fréquentait la piscine municipale, un type de mon ancien travail, et le fleuriste. Tous trois avaient disparu dans des circonstances mystérieuses, bien sûr. Avec ce nouvel individu, je pensais que tout cela serait plus simple. Si seulement il n’avait pas bougé…

Je l’attendais, pour sa pause anglaise de 17h. Mon erreur : mon érable japonais. Il avait bien grandi, devenu très imposant, et j’avais dû repousser d’une main quelques feuilles pour bien viser. Il ne fait pas de doute que le gaillard entendit ce bruit, qui le surprit, et il tourna au moment où j’appuyais sur la détente. A quelques millimètres près, la balle rentrait dans le coeur et il s’affalait sur sa chaise. Il m’aurait suffi de pénétrer son appartement, le rentrer, et à la nuit tombée, d’aller jeter le corps dans un endroit discret. J’aurais trouvé mon bonheur sans problème aux alentours.

Manque de bol, il avait l’ouïe fine, et cela le sauva. Mais signa ma fin. Plus que quelques jours avant mon procès. Les preuves sont accablantes : il est certain que je finirais en prison pour longtemps. Surtout si un inspecteur intelligent arrive à faire le rapprochement avec les trois disparitions non résolues. Croisons les doigts pour que je puisse sortir dans quelques années…

LE PROCES – V1

Le jour du procès approche. Nous avons assez de preuves pour condamner ce fou qui m’a tiré dessus. Je n’ai toujours pas compris pourquoi il avait voulu me tuer : j’espère trouver des réponses à ce moment-là. Je suis passé de la colère à l’incompréhension. Aujourd’hui, j’ai besoin de passer à autre chose. 

Je suis encore en convalescence. Je n’ai pas repris les cours et je suis obligé de suivre des séances de psy, pour aller au-delà du traumatisme. Tout ce que je veux, c’est que justice soit faite. Et comprendre. Pourquoi ? 

Virginie s’est beaucoup occupée de moi. Elle fut encore plus choquée que moi de la tournure des événements. Elle insista pour que je déménage et s’occupa des aspects pratiques. Elle ne voulait pas que je revive ce jour en continu, surtout dans cet appartement où nous avions tant partagé. 

Alors, dans une semaine, peut-être que je comprendrais enfin…

LE PROCES – V2

Sept jours. Sept jours avant qu’ils ne décident de m’enfermer. Ne comprennent-ils pas ? Je n’ai aucun tort dans l’histoire. J’ai été provoqué. Mon avocat ne semble pas considérer que cet argument puisse tenir la route. Il veut jouer la démence. Mais pourquoi ? Je suis complètement sain d’esprit.

Il m’a eu à l’usure, nous allons demander que je sois plutôt suivi en hôpital psychiatrique qu’envoyé en prison. Cela me convient, d’une certaine façon. Ce sera sûrement plus tranquille, moins violent. 

J’aimerais comprendre : pourquoi ? Pourquoi pourrait-on croire que je suis fou ? 

Je ne suis qu’un homme qui n’aime pas être dérangé par l’extravagance et la suffisance des autres. 

APRES LE PROCES – V1

Les choses ne se sont pas tout à fait déroulées comme prévues. Je pensais pourtant avoir été prudent, mais il faut croire les banalités : le passé finit toujours pas vous rattraper. 

L’avocat de la défense se disait que tâcher ma réputation jouerait en faveur de son client. Il décida donc de fouiller dans mon passé. Un détective privé – un peu trop doué à mon goût – avait replongé jusqu’à quinze ans en arrière dans ma vie. Le sentiment d’être mis complètement à nu par un étranger est loin d’être agréable. Il avait malheureusement très bien fait son travail et avait découvert une étrange disparition dans ma vie dix ans plus tôt. Une collègue avec qui j’avais partagé une romance de quelques mois. Celle-ci s’était un peu trop attaché et avait commencé à être dérangeante – j’étais marié à l’époque. J’avais donc décidé de prendre les choses en main. Le tout avait dérapé et, avant que je ne puisse le réaliser, je me trouvais dans une forêt à quelques centaines de kilomètres de chez moi, en train d’enterrer un corps. 

On n’avait jamais su le fin mot de l’histoire. Disparition étrange. Cinq ans plus tard, alors que personne n’y songeait plus, le corps avait été retrouvé par un promeneur et son chien. L’affaire fut classée sans suite, par manque de preuves. On m’interrogea à peine. Mais le détective privé décida d’aller plus loin et il leur fut évident, à lui et à l’avocat de la défense, que j’étais impliqué. Même si aucune preuve ne fut donnée, cela suffit à rendre mon attaquant plus sympathique. 

Le voilà donc simplement interné pour une durée indéterminée dans un hôpital psychiatrique : avait-il ressenti mon passé sombre ou était-il tout simplement fou et avait-il eu de la chance ?

Quant à Virginie, après que les doutes sur mon passé aient été soulevés, elle disparut. J’ai tenté de la joindre à plusieurs reprises, sans succès. Peut-être elle aussi avait-elle eu une intuition… ?

APRES LE PROCES – V2

Je ne l’avais pas vu venir. Il se trouvait que j’avais réellement une raison, et pas petite, d’attaquer ce voisin. Mon avocat poussa l’enquête à se renseigner sur les trois meurtres dans lesquels j’avais été impliqués. Chacune des personnes avait commis un crime grave. Meurtres, violences extrêmes, arnaques aux plus faibles… Il semblait que mon cerveau comprenait des choses que je ne comprenais pas moi-même.

J’avais perçu chez chacun de ces individus leur part diabolique, et je ne l’avais pas supportée. Ce n’était probablement pas les seuls qui avaient croisé ma route, mais je devais fréquenter ceux-là au quotidien. Et mon esprit ne devait pas supporter d’être en contact avec des personnes aussi mauvaises. Pourtant, je devenais moi-même mauvais à agir de la sorte, non ? Mon cerveau devait se dire que la fin justifiait les moyens. 

Comment peut-on être si peu en contrôle de son propre esprit ? Comment peut-on si peu se comprendre ? Je crois que finalement j’accueille avec joie cette thérapie obligatoire, cet internement. Si j’arrive à mieux comprendre mon propre cerveau, alors peut-être pourrais-je utiliser ce “don” de manière plus appropriée. 

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