Mes articles,  Paroles de mamans

Journal d’un accouchement8 min de lecture

Les prénoms ont été changés pour des raisons de confidentialité. 

Cécile et Jean ont mûrement réfléchi leur désir de parentalité, qui était loin d’être une évidence pour eux (cf. article sur maternité et féminisme). Aujourd’hui, ils ont un enfant. Ayant l’habitude de tenir un journal de bord lors des événements importants de leur vie, ils l’ont fait pour l’accouchement de Cécile. Ce texte leur permet de garder un souvenir très personnel de cet instant marquant (NB : le texte de Jean est en gras). 

C’est une semaine un peu étrange avant le jour J : Cécile n’en peut plus, elle veut que ça arrive. Moi, je suis naïvement content d’avoir quelques jours de vraies vacances avant « l’épreuve ». Mais bien sûr ce ne sont pas de vraies vacances, nous n’osons pas bouger, Cécile marche les jambes écartées telle un sumotori, le temps passe dans une certaine forme de langueur et de mollesse généralisée : ce n’est pas possible de réellement penser à autre chose ou de bêtement profiter. Finalement, le timing sera parfait car dès le…

Samedi 30 avril – S 40 de grossesse

Les contractions se font de plus en plus régulières. Je commence sérieusement à me dire que c’est plutôt ennuyeux d’attendre l’accouchement. Je prends S en photo avec une guirlande de lumière, c’est l’ennui profond.

H. a parié pour un accouchement le samedi soir, à priori c’est raté.

Vers 21h pourtant, les contractions deviennent douloureuses et surviennent toutes les 15min. On les chronomètre avec minutie, attendant d’atteindre le cap fatidique, mais ça va et vient et nous laisse dans le flou.

Nous allons nous coucher mais impossible de dormir pour moi, je me relève vers minuit et décide d’aller prendre un bain pour voir si les contractions passent… Elles ne passent pas et pendant certaines périodes elles surviennent toutes les 5 min. Vers 3h du matin, je décide de réveiller Jean pour qu’il prépare les affaires de la maternité.

Finalement, alors que nous étions prêts à partir : les contractions ralentissent et je propose de rester à la maison. 

Dimanche 1er mai

Seulement, au petit matin, en allant aux toilettes, j’aperçois du sang, rouge vif. Il faut se rendre aux urgences pour vérifier que tout va bien.

Nous laissons S (NDR : leur chien) à F. et C.. Y (NDR : leur chat) a un stock de nourriture pour survivre (A noter que quelques jours plus tard, Y n’aura jamais aussi bien mangé qu’en restant seul dans l’appartement, le petit galopin mignon).

A la maternité, après quelques examens, nous sommes rassurés. Je vais bien, le bébé va bien. Mais je ne suis dilatée qu’à 1 cm. Nous sommes à 40 semaines de grossesse, à 1 semaine exactement du terme et la gynécologue de garde nous propose de faire un déclenchement.

On pèse le pour et le contre avec Jean, mais c’est surtout la lassitude et la perspective de rentrer à la maison pour attendre qui nous pousse à rester et lancer l’accouchement.

On me propose de déclencher avec la technique du « ballonnet » : la méthode consiste à introduire une sonde souple en caoutchouc dans le col de l’utérus. Ça ressemble à des boules de Geisha pleine d’eau. Une fois la sonde en place, un petit ballonnet est progressivement gonflé avec de l’eau. Il permet d’ouvrir le col et de décoller les membranes. En théorie, le ballonnet tombe quand le col est ouvert à 2-3 cm, c’est-à-dire quand le travail a commencé.

13h : Nous sommes installés dans la chambre qui va rester la nôtre tout au long du séjour en attendant que le vrai travail commence. C’est une chambre individuelle, avec une petite chauffeuse qui permettra au futur Papa de dormir allongé, quoique dans un confort incertain. 

Les contractions deviennent de plus en plus régulières. Fatiguée par la nuit précédente, je ne parviens pas à être aussi mobile que je l’imaginais et me repose essentiellement dans le lit.

A partir de la fin d’après-midi, la douleur devient de plus en plus forte mais le ballonnet ne tombe pas.

Dans la soirée, j’appelle l’infirmière pour avoir de l’aide et demander que l’on vérifie mon col. Je sais que je suis capable de retenir le ballonnet à cause de mon périnée hypertonique. Mais le personnel médical ne déroge pas au protocole : je ne pourrai pas descendre en salle de travail tant que le ballonnet n’est pas tombé. « Il y a des femmes qui attendent 24h, madame ! »

La nuit se passe dans un état second : nous sommes fatigués, nous nous endormons entre chaque contraction. Je réveille et supplie Jean d’appuyer fort sur le bas du dos quand une contraction survient. Mais je suis tétanisée par la douleur. Impossible de bouger du lit. 

Jean : Je suis tel un zombie, je dors par à coups, entre les moments où Cécile me demande de la masser. C’est un vrai état second dans la chambre la nuit, tous les deux, sans aide : Cécile qui souffre et tente courageusement de faire des mouvements pour expulser le ballonnet, moi à moitié-endormi qui pousse le plus fort possible dans son dos puis me rendors jusqu’à la prochaine contraction. Nous ne comprenons pas que cette étape soit si longue, si douloureuse, alors qu’il ne s’agit toujours pas du « vrai » accouchement. Cela va donc être encore plus dur, durer encore plus longtemps ? Cela paraît inconcevable mais les infirmières ne dérogent pas au protocole et semblent penser que Cécile exagère… 

Lundi 2 mai

Vers 3h du matin, je décide, dans un élan qui me vient du désespoir, d’utiliser la balle de Yoga pour me balancer sur le lit. Je m’endors dessus et miracle, cela fonctionne ! J’ai réussi à me détendre et à relâcher ce ballonnet infernal.

La douleur est atroce. L’infirmière m’indique que je peux descendre en salle de travail, mais il m’est impossible de me déplacer. Du sang coule au sol. C’est la panique. Jean court chercher de l’aide et on revient avec une chaise roulante. Je m’assoie tant bien que mal. Le chemin me parait interminable.

Enfin arrivés en salle de travail, la sage-femme m’installe et me dit « bon, vous êtes à 2cm », avec un ton condescendant. « J’ai cru comprendre que vous vouliez la péridurale ». Elle me prend pour une douillette.

On me place sous monitoring, mais cela va prendre encore au moins 1h avant que l’anesthésiste vienne pour me poser la péridurale. Je n’en peux plus. Je ne parle plus.

5h00 : La péridurale est magnifiquement posée. C’est la libération. Une douce chaleur s’installe dans mon ventre et bassin, je revis. Je souris, je reparle.

5h45 : la sage-femme revient et je lui demande si c’est normal que je ressente les contractions dans les fesses maintenant. Elle écarquille les yeux et va enfin vérifier mon col. Je ne suis pas à 2 cm mais je suis entièrement dilatée.

Son regard change. Je passe du statut de douillette à guerrière. Je réalise à peine : j’ai fait le travail toute seule sans aide médicale enfermée dans la chambre de la maternité.

6h30 : on m’annonce que nous allons laisser 3h au bébé pour descendre dans le bassin.

Avec la péridurale, le travail ralentit, les contractions s’espacent. Je demande à Jean de regarder régulièrement si la tête du bébé n’apparait pas, j’ai l’impression qu’il est à deux doigts de sortir !

9h : comme le bébé commence à montrer des signes de fatigue, on lance les opérations, je dois pousser. Je sens l’émotion me gagner, j’ai les larmes aux yeux mais je reste concentrée pour pousser. Jean est là avec moi, il me tient la main.

Les contractions ne suffisent pas, on m’injecte de l’ocytocine pour les augmenter.

9h26 : L. est né. Sans déchirure. Sans épisiotomie. Un miracle ! Je suis sonnée ! Je ne réalise pas vraiment qu’il soit enfin arrivé !

Cécile a été incroyable du début à la fin. C’est un moment exceptionnel et franchement indescriptible, comme une expérience du sacré. Pendant 30 minutes, il y a les cris, les sages femmes, les encouragements, le néant de celui qu’on attend ; l’autre instant, un petit être bleuté, suintant, hurlant, tout neuf à la vie et plus rien d’autre d’intéressant autour. C’est très étrange, la première image que j’ai de mon fils (et que je peux revoir à volonté encore maintenant en y songeant à nouveau, comme si celle-ci, immédiatement trop importante, avait basculé à vie dans une sorte d’autre rétine, mémorielle), il  est entouré par les bras de la sage femme (mais je ne la vois pas, je ne vois que ses bras), dans un petit linge blanc, le corps tendu et ruisselant, et le visage déformé par les cris qu’il pousse ; et je me dis « mince, il ne me ressemble pas vraiment », ce qui est un peu idiot car il ne ressemble pas à grand chose à cet instant précis, il est sous le choc lui aussi. Une minute plus tard, il est contre mon torse en « peau à peau », nettement plus présentable, immensément charmeur… Ces quelques minutes essentielles, je les vis baigné de larmes, sans doute les plus heureuses larmes du monde, en partageant les plus grands des sourires avec Cécile, la plus belle femme du monde. L. est là, il est magnifique.

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