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Maman à tout prix7 min de lecture

Propos recueillis par Raphaëlle Tilliette. Le nom de l’interviewée a été modifié pour garantir son anonymat.

Avec optimisme et détermination, Jeanne a décidé de devenir maman solo à seulement 25 ans. Elle a quitté sa Normandie natale à 20 ans, pour rejoindre Paris et se lancer dans une carrière de comédienne, tout en assurant un travail d’assistante parentale à temps plein en parallèle du Cours Florent. Elle partage ici son expérience de mère célibataire et les raisons de son choix.

Pourquoi cette décision de devenir maman célibataire ?

L’ordre des choses est de se mettre en couple et de fonder une famille avec une autre personne, mais ce n’est pas forcément possible. Je pense qu’il vaut mieux faire seule qu’avec la mauvaise personne. J’étais en couple avec une femme et nous avions un projet d’enfant. Elle m’a quittée et, deux semaines plus tard, mon médecin m’a annoncé que mon endométriose avait évolué. Si je voulais un bébé, c’était maintenant. Je me suis alors posée la question : est-ce que j’ai besoin de quelqu’un pour avoir un enfant ? En tant que lesbienne, la démarche était la même que seule : il me fallait un don de sperme. Ca ne me faisait pas peur car j’avais intégré ce sujet. La différence était que je me lançais seule. 

Est-ce que tu avais conscience de ce qu’impliquait être une maman solo ?

J’avais conscience de tout ce que ça impliquait d’avoir un enfant, je mesurais ce que ça allait engendrer même si, comme tout le monde, on ne peut pas vraiment le savoir sans l’avoir vécu. Mais je n’ai jamais attendu les autres pour faire ce que je veux (rires). Par exemple, j’ai abandonné une école d’infirmière pour être comédienne : quand je suis passionnée, la peur ne m’arrête pas.

Ca ne doit pas être facile comme situation, de s’occuper seule d’un bébé. 

A chaque fois que j’en parle, les gens sont impressionnés, mais moi ça me fait bizarre, je ne vois pas les choses comme ça. Pour moi, c’est une démarche normale, pas extraordinaire. Mais, oui, aux yeux de la société, ce n’est pas une situation ordinaire. Aujourd’hui, de toute façon, je n’ai pas le choix. La maternité est une épreuve de survie. Je n’avais pas mesuré la fatigue notamment. J’étais aussi peinée de ne pas pouvoir partager les joies de la grossesse avec quelqu’un. Mais une fois que le bébé est là, c’est une telle joie quotidienne, que tu ne penses pas au reste. Ca développe aussi une certaine rage de vivre. C’est viscéral, pas rationnel. 

Tu as tout de suite ressenti l’instinct maternel ?

Je n’ai pas bien vécu ma grossesse et pourtant je la souhaitais. Rationnellement, j’aimais mon bébé mais je ne le ressentais pas. Quand elle donnait des coups, ça me dérangeait par exemple. J’ai vraiment aimé ma fille un mois après l’accouchement, parce que j’ai appris à la connaître et qu’à ce moment-là j’avais surmonté la douleur du post-partum. J’avais peur de ne jamais l’aimer. 

On a tendance à considérer l’instinct maternel comme inné, mais ce n’est pas le cas. 

Rationnellement, je l’aimais parce que c’est l’image que renvoie la société, mais ça a mis un peu de temps à arriver vraiment. Ce n’est pas un amour comme un autre, c’est vraiment un amour unique. L’aimer signifie aussi ne jamais abandonner et vouloir le meilleur pour elle. 

Comment s’est passée ta grossesse ? 

Les trois premiers mois, j’avais des doutes, peut-être parce que c’est arrivé vite (je ne pensais pas tomber enceinte aussi rapidement), j’ai même voulu avorter par moments. J’ai paniqué après le test positif. J’ai réalisé que je la portais et qu’elle allait devoir sortir, j’ai mesuré les implications, que ma vie allait complètement changer. Quand je savais que j’avais encore le droit d’avorter, j’ai eu ces doutes, mais quand la date est passée, j’étais sûre de moi. J’avais peur de regretter et pourtant j’ai vraiment voulu cet enfant. J’aime ma fille à la folie mais ma vie d’avant me manque, j’ai du coup au fond de moi cette peur de regretter un jour. Je n’ai pas envie de refaire comme ma mère, qui nous a reproché son bonheur et son malheur, a tout misé sur sa famille alors qu’on n’a rien demandé. Je ne veux pas que ma fille soit responsable de mon bonheur : il faut être un individu aussi et pas qu’une maman. Je me suis fait la promesse de ne jamais reprocher à ma fille des choses en ce sens. 

Ca ne te faisait pas peur d’avoir un enfant si jeune ?

On m’a dit que je gâchais ma jeunesse, mais avoir un enfant tôt signifie qu’ils seront grands tôt aussi et qu’on peut vivre comme une deuxième jeunesse. Ma mère a adoré la petite enfance et n’a pas aimé quand on est devenu plus indépendant, c’est là qu’elle a commencé à regretter. Elle n’a pas eu de famille, a été enceinte à 15 ans et n’a donc pas pu se construire avant d’être mère. C’est pourquoi elle a misé son bonheur sur nous. 

Tes soucis de santé ont également accéléré ta prise de décision, n’est-ce pas ?

Oui, j’ai été prise par le temps. L’endométriose s’aggrave tous les mois. C’est un “cancer qui ne tue pas”, se propage et engendre une perte de fertilité. La maladie est incurable. 

Comment gères-tu la douleur ?

Il y a plusieurs solutions pour soulager les douleurs : déclencher une pré-ménopause, mais c’est un peu une “mort précoce” pour une femme de vingt-cinq ans car le corps se dégrade et il y a beaucoup d’effets secondaires. Je prends des anti-inflammatoires, de l’ibuprofène, des opioïdes, on peut aussi faire de l’ostéopathie ou de l’acupuncture… Mais ça me soulage à peine. J’ai le projet de faire une hystérectomie, pour limiter les douleurs, mais je veux peut-être un deuxième enfant, donc j’attends. Avec le retour de couches, les douleurs reviennent et si je ne les supporte pas, la question va se poser.

Ce n’est pas difficile de gérer un bébé tout en gérant sa douleur ?

Je n’avais pas mesuré cela, que j’allais devoir gérer un enfant avec des crises d’endométriose dont les douleurs sont importantes. C’est vraiment dur. C’est comme gérer un enfant quand on est malade, sauf que c’est une maladie chronique qui engendre des douleurs trois semaines sur quatre. Il existe aussi un traitement chirurgical pour réduire les inflammations, mais il peut engendrer la stérilité. Mon médecin voulait donc attendre que j’ai des enfants. Si je fais une croix sur un deuxième, ce n’est pas comme faire une croix sur devenir mère. Je me considère déjà tellement chanceuse, il ne faut pas être trop gourmande. Il ne faut pas que ça devienne une obsession. Si ça doit marcher, tant mieux, ça marchera, sinon je suis très heureuse comme cela.

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