Les chances d’une grossesse : tomber enceinte malgré la maladie 8 min de lecture
Manon est atteinte d’une maladie chronique, le lupus, qui s’attaque au système immunitaire. Greffée d’un rein en 2016, elle doit suivre un traitement lourd pour pouvoir vivre correctement. Avoir des enfants est donc compliqué car ces médicaments ne sont pas compatibles avec une grossesse, ce qui suppose qu’elle soit très médicalisée. Voici son histoire.
Quelle a été la première démarche à suivre quand vous avez décidé d’avoir des enfants avec ton conjoint ?
Il faut demander l’accord du corps médical. Un gynécologue, un néphrologue et un médecin de médecine interne décident si on peut essayer d’avoir un enfant. C’est assez violent parce qu’on n’a pas la main sur quelque chose de “naturel”. Avec mes soucis de santé, importants, la grossesse n’est pas du tout la même que pour les autres, elle n’est pas vécue pareil. Elle est ultra-médicalisée et cela enlève beaucoup de possibilités, comme le choix d’un accouchement dit “naturel” ou sans péridurale, le choix de sa maternité, etc.
Où as-tu accouché ?
A la Pitié-Salpêtrière, qui n’est pas du tout connue pour sa maternité, mais parce que j’étais suivie là-bas pour ma maladie. Mais ils ont une très bonne connaissance des cas de femmes enceintes atteintes de maladies chroniques.
Comment ça s’est passé pour vous ?
Il fallait s’y prendre un ou deux ans avant quand on a eu le projet de grossesse. Mon conjoint et moi avons procédé à des examens de fertilité, j’ai dû changer de médicaments, etc. C’était assez déstabilisant, j’étais dépossédée de ma maternité, les choix étaient pris pour nous. Ensuite, les médecins nous ont donné une deadline : comme j’ai changé de médicaments, on m’a donné trois mois pour tomber enceinte. On a eu de la chance, c’est arrivé au bout de deux. La complication supplémentaire est que ça ajoute du stress et on sait que ça n’aide pas pour tomber enceinte, on dit au contraire qu’il faut être le plus serein possible. C’était très particulier.
Et ensuite, comment s’est passée ta grossesse ?
Elle était beaucoup trop suivie. D’un côté, c’est rassurant, parce qu’on est chouchouté, prioritaire, et on passe une échographie dès qu’il y a un souci, etc. J’ai été déclenchée un mois avant le terme parce que j’ai eu des protéines dans les urines. Durant une grossesse “normale”, vers la fin, on a plus de risques de complication, avec notamment le risque d’avoir des protéines dans les urines, une insuffisance rénale, etc. Mais dans mon cas, ça peut être dangereux. Comme, au bout de 38 semaines, le bébé est “fini”, on avait prévu un déclenchement à ce stade. Avec ce problème à 37 semaines, j’ai été déclenchée plus tôt. J’avais également un gros risque de pré-éclampsie. La veille et le jour de mon accouchement, le staff a été génial, ça s’est très bien passé. C’était une belle expérience. J’ai eu tout de suite une péridurale, parce qu’ils devaient faire plein de manipulations. C’est le côté positif et rassurant d’être bien suivie et prise en charge.
Tu gardes donc un souvenir positif de ta grossesse et de ton accouchement ?
D’un côté, j’ai été un peu dépossédée sur plein de choses. En même temps, je trouve ça génial qu’une personne comme moi puisse avoir des enfants. Beaucoup de femmes qui ont des soucis de santé font une croix dessus. Je pense qu’avec le bon suivi et les bons médecins, c’est possible. Il faut trouver la bonne personne pour nous soutenir. Ma gynéco a été super, elle m’a dit qu’on allait tout faire pour amener ce projet de grossesse à bien, alors que les néphrologues étaient plus réservés parce que leur but est de préserver les reins. C’est tout un voyage, il faut renoncer à certaines choses. Par exemple, je n’ai pas ressenti une seule contraction, et c’est important pour certaines femmes. J’ai dû également faire une croix sur l’allaitement à cause des médicaments. Mais je trouve que j’ai beaucoup de chance malgré tout, même si c’est un peu frustrant, parce qu’on ne vit pas la grossesse comme on l’a envisagée. Maintenant, j’ai mon bébé.
Quand as-tu su pour ta maladie ?
J’avais 12 ans.
Tu parles de traitements lourds, quel a été l’impact de ceux-ci sur ta grossesse et ta maternité ?
Pendant la grossesse, j’étais extrêmement fatiguée mais ça allait. J’étais habituée aux médicaments. Mais le plus dur a été le post partum, parce qu’on s’oublie un peu, tout tourne autour du bébé. Moi je suis censée “éviter” la fatigue parce que c’est mauvais pour les maladies chroniques, comme le système immunitaire est très affaibli. Il faut se reposer mais c’est impossible avec un bébé. J’étais moins assidue qu’avant dans la prise des médicaments. Encore aujourd’hui, je ne les prends pas à la bonne heure. Le fait de prendre sa tension par exemple, on l’oublie durant les premiers mois. Plein de choses qui étaient prioritaires avant sont passées à la trappe. Pourtant, ce sont des choses essentielles pour moi. Ce côté-là, je l’ai mal vécu parce que j’ai culpabilisé. Les médecins me disaient que j’avais oublié certaines choses mais moi j’avais la tête à m’occuper de mon bébé.
Quel âge a-t-elle aujourd’hui ?
Elle va avoir un an fin juin.
Est-ce que ta maladie peut l’impacter ?
Ma maladie en elle-même, non, car elle n’est pas héréditaire. En revanche, un des médicaments que je prends est particulier. C’était un vrai pari, parce qu’il n’existe que dix enfants qui sont nés sous ce médicament-là. Les médecins ont dû contacter l’agence de santé pour être sûrs qu’il n’a pas de conséquence sur les bébés. Ils sont suivis pour être sûrs qu’ils n’aient pas de séquelle. Eloïse a donc un suivi spécifique mais pas hyper poussé. On veille sur son état de santé mais il n’y a pas d’examen particulier à faire.
Tu dis que tu as dû changer de médicament pendant la grossesse, pourquoi ?
Les médicaments qu’on prend d’habitude peuvent causer de grosses malformations au fœtus, c’est pour ça qu’il faut changer si on souhaite être enceinte.
Comment ça se passe aujourd’hui ?
J’ai repris le suivi d’avant grossesse.
Et ton conjoint, comment a-t-il vécu tout cela ?
Il m’a beaucoup soutenue dès le début. On sentait la pression pour pouvoir tomber enceinte. Lui est plutôt tranquille de base et a été plutôt serein.
Est-ce que vous souhaitez/pouvez avoir un deuxième ?
En théorie, si on veut un deuxième, on peut passer par le même processus. Mais dans la pratique, ce n’est pas notre choix. J’en ai parlé à mes médecins et ils m’ont dit que c’était compliqué et me l’ont fortement déconseillé.
Comment as-tu vécu cette recommandation ?
C’est un coup. Certains jours, je me demande si ça vaut le coup de prendre autant de risques pour un bébé qui n’est pas encore là, parce que, dans le pire des scénarios, j’abîme mon rein, je n’ai pas un deuxième bébé et j’ai une petite dont je dois m’occuper. Est-ce que ça vaut le coup alors qu’aujourd’hui j’ai un bébé qui a besoin de moi ? Ce serait bien qu’elle ait un petit frère ou une petite soeur, et on a d’ici à la fin de l’année pour faire un choix, parce que je ne peux pas avoir un bébé à 40 ans. Là, j’en ai 36 ; si je veux un deuxième, c’est maintenant. C’est compliqué.
Outre les traitements, comment ta maladie impacte ton quotidien ?
Ma maladie est assez stable depuis quelques années, c’est pour ça qu’on a pu lancer le projet de grossesse. Tout a été lancé fin 2020 et on a eu Eloïse fin juin 2022. Là, c’est stable, tout roule.
Est-ce que tu voudrais ajouter quelque chose ?
On trouve beaucoup d’informations autour de la grossesse, mais grossesse et maladie est un terrain très inconnu. Quand tu es une femme malade, tu es un peu livrée à toi-même. Ça dépend des médecins qui te suivent, car ils sont ta seule source d’information. Sur le net, il existe plein de choses par rapport à la maternité ou aux mamans qui ont du mal à tomber enceinte, mais sur des femmes malades, il n’y a rien, sauf des choses très spécifiques. Quand tu parles de ta grossesse avec des copines, ce n’est pas la même chose. On est vraiment un cas à part. Du coup, tu te sens seule. Mais c’est super de pouvoir avoir un enfant même en étant malade. C’est extraordinaire.